Le sujet est tel parce qu’il fait des choix“

Le sujet est tel parce qu’il fait des choix“

Ce texte est issu d’une contribution de notre président honoraire Valerio Canzian dans le bulletin de l’AETPR n° 39. Il nous a quitté cette année 2022. C’est un hommage que nous lui rendons en mémoire à ce qu’il a réalisé pour notre association.   J’ai récemment lu un article (1) sur les “nouvelles frontières” du traitement de la toxicomanie. Selon cette recherche, le paradigme de la communauté thérapeutique territoriale est désormais dépassé, étant donné qu’au centre du traitement, n’est plus située la personne dans son ensemble (ou l’approche pharmacologique intégrée) mais le “cerveau”, parce que la toxicomanie est “une maladie du cerveau, traitable, mais à ce jour non curable”. Le cerveau se place donc au centre de la cure, notamment parce que, semble-t-il, grâce à sa neuro-plasticité, il semble possible de rétablir son “cours régulier”.   Un des traitements -en phase expérimentale- déjà répandu dans certains centres d’Italie est donné par la stimulation magnétique répétitive trans-crânienne profonde (rTms-d). C’est une technique, utilisée depuis vingt ans en Amérique, pour traiter les formes sévères de dépression et de pharmacorésistance. Les avantages -selon la science- seraient qu’il s’agit d’un traitement sans douleur, rapide et peu envahissant. En pratique, le stimulus électrique, dirigé dans certaines zones du cerveau, comme le cortex préfrontal dorsolatéral, produirait une action d’annulation permettant de rétablir l’activité cellulaire compromise par l’usage massif de médicaments. L’être humain est-il le produit de son cerveau ? La pensée se réduit-elle au fonctionnement du cerveau ? La biologie serait séparée de l’être ? La génétique séparée de l’épigénétique ? Les êtres humains ne sont pas les programmes de leur propre biologie. Le sujet lui-même est constitué au moment de ses choix. L’être humain est tel parce qu’il fait des choix. C’est bien connu dans les expériences et les problèmes LGBT (Lesbien Gay Bisexuel Transsexuel). Le sujet n’est pas défini par la biologie, ni par l’anatomie. Nous sommes confrontés à des cas dans lesquels l’intériorité, l’identité du sujet ne correspond pas au corps anatomique. Il existe un fossé entre la biologie et le symbolique qui ne peut être comblé par des médicaments, des opérations chirurgicales ou une stimulation magnétique. En tout cas, il faut respecter un choix subjectif, qui repose sur l’intériorité du sujet, qui, s’il le juge opportun et compatible avec les possibilités, peut également adapter son corps à ce qui est le plus propre à son être. La subjectivité s’exprime en singularité. Cela signifie qu’il est réducteur de classer les difficultés et les souffrances vécues par le sujet sous l’égide du désordre, du symptôme, de la maladie. Déjà Platon a parlé d’une rationalité subjective, qui ne coïncide pas avec “l’épistème”, la rationalité scientifique, mais avec la capacité humaine de se rapporter aux choses avec discernement. Réduire l’être humain au cerveau, au biologique, est une formule réductionniste qui rend la psyché équivalente à la biologie. C’est une formule que nous avons trouvée présente dans le passé avec des résultats tragiques au XXe siècle dans la défense de la race et que nous trouvons présente aujourd’hui dans le débat “scientifique” et dans le langage courant. Par exemple les facteurs biologiques, génétiques, l’ADN, considérés comme éléments naturels, sont désignés par certains soi-disant “experts” comme la cause des “maladies mentales”. Nous négligeons le fait que la subjectivité humaine n’est pas un élément de pure nature mais est affectée par les déterminants de la culture propres à la civilisation et à la contemporanéité, qui rendent chaque être humain mystérieux, complexe, singulier. Lorsque les éléments de la nature sont greffés dans la subjectivité humaine, dans la complexité introduite par la parole et le langage, ils acquièrent une caractéristique symbolique pour laquelle, ce qui reste mesurable, le biologique, bien qu’important, ne peut non seulement être rendu totalement équivalent à la causalité́, mais perd également ses connotations de la nature. L’être humain pour pouvoir exister a besoin des “soins” de l’adulte, les mots, le dire, qui façonnent un corps, un corps que nous disons “le nôtre” mais qui est façonné par le langage, par cette relation à l’Autre qui lui préexiste et qui continue d’être constitutif durant sa vie. L’être humain, son être sujet, n’est donc pas la somme de la biologie et du langage (psycho et social) appris au fur à mesure, comme s’il s’agissait d’un processus d’apprentissage par étapes évolutives. C’est plutôt une nouvelle réalité qui présente l’empreinte singulière du langage, qui préexistait déjà à sa naissance, et qui est influencé par l’environnement. C’est une réalité différente comparée à la biologie pure. En fait, il n’y a pas de sujet sans l’Autre. Il n’existe pas de génétique sans épigénétique, c’est-à-dire que le gène est influencé de manière positive et négative par l’environnement. Ce qui vient de l’Autre est constitutif du sujet, il caractérise profondément son identité. L’enfant s’intègre dans la relation à travers la relation avec l’autre, par le désir de l’autre, mère, père, puis des autres et c’est en ce sens qu’il répond au désir de l’autre, de la mère d’abord, qui est placée dans une dimension de relation. Si les paramètres physiques et biologiques se prêtent à être mesurés et sont valables pour tous, au contraire, les paramètres psychiques échappent à la mesure. Cultivons donc cette caractéristique d’émerveillement, de mystère, de curiosité et d’intérêt pour la singularité de chaque être humain, qui doit être sauvegardé dans ses droits les plus élémentaires, à commencer par le droit de vivre et de ne pas être maltraité, opprimé, rejeté, laissé à la dérive, abandonné à la mort.   (1)          Article de Veronica Manca, avocate chargée de la section de droit pénitentiaire de Trento (Italie), publiée dans le journal « Il Dubbio » du 5 juin 2018