Science et thérapie psychocorporelle

Science et thérapie psychocorporelle

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Un dossier est paru dans le Nouvel Observateur n° 2120 sur le thème du bien-être du corps, avec notamment l’interview d’un scientifique américain, Bessel van der Kolk, neuropsychiatre, dans laquelle il dit : « (…) c’est seulement en vivant dans son corps une expérience qui contredit le sentiment d’impuissance associé au trauma qu’on peut réussir à le surmonter ».
Les recherches de Bessel van der Kolk sont transposables à nos pratiques de thérapeutes psychocorporels et nous apportent l’éclairage et le soutien de travaux scientifiques. Voici un extrait de l’article.

Le corps est notre meilleur médecin

Au départ, ce neuropsychiatre tenait les techniques psychosomatiques pour farfelues. Et puis il a vérifié qu’elles étaient efficaces. Et a entrepris de comprendre pourquoi… Dans le gros labo rattaché au Trauma Center de Boston, les chercheurs du professeur van der Kolk étudient, à l’aide des équipements les plus pointus, les effets sur l’organisme de ce qu’on appelle l’« état de stress post-traumatique » (ESPT). A la fin des années 1970, van der Kolk a bataillé pour que le syndrome de l’ESPT, dont il voyait les ravages sur les soldats au retour du Vietnam, soit inscrit dans le tableau des diagnostics psychiatriques de façon à garantir des soins aux anciens combattants. Depuis, il est devenu une sommité mondiale en neurosciences. Ce mandarin, auteur d’une centaine d’articles de référence, a déclaré que la pratique de techniques comme le yoga ou le qigong donnait plus de résultats que n’importe quelle cure fondée sur la parole. Pavé dans la mare. Grincements de dents chez les psychanalystes, les cognitivo-comportementalistes, les psychologues humanistes. Divine surprise pour les praticiens du « body business », tenus jusque-là en piètre estime par l’establishment de la santé mentale. Depuis, les gymnastiques et autres médecines douces sont tellement entrées dans les mœurs outre-Atlantique que l’Institut national de la Santé consacre 20 millions de dollars chaque année à leur évaluation.

Le Nouvel Observateur. – Les traumatologues ont été les premiers – et votre travail y a contribué – à légitimer les approches body-mind (corps-esprit). Vous les utilisez couramment dans votre clinique pour soigner les traumatismes graves. Quel peut être leur bénéfice réel pour la plupart d’entre nous qui ne sommes pas de grands brûlés de l’existence ?

Bessel van der Kolk. – On se méprend beaucoup sur la notion de traumatisme, qu’on assimile à tort à un événement horrifique et exceptionnel. Il y a bien sûr des situations extrêmes – inceste, torture, guerre, terrorisme… – qui marquent les victimes au fer rouge. Mais il y aussi la foule des malheurs ordinaires inhérents à la condition humaine. S’ils ont été vécus dans un sentiment d’impuissance et de désespoir, ils peuvent eux aussi laisser une cicatrice douloureuse longtemps après les faits. Tous ceux qui ont eu des parents violents, vécu une relation pénible, la mort d’un ami ou même un accident le savent bien. Ils ne présenteront pas forcément tous les symptômes de l’ESPT – cauchemars, irruption de flash-back intrusifs du vécu traumatique, hyper vigilance, anxiété, irritabilité, insomnie, dépression. Mais nos recherches nous montrent qu’à un degré moindre de très nombreuses personnes portent la trace du trauma dans leur corps. Tout ce qui soulage cette souffrance héritée du passé est un bienfait qui permet à la personne d’aller de l’avant.

N. O. – Ceux qui pratiquent des disciplines psychocorporelles se font donc plus de bien qu’ils ne le croient. Mais par quels mécanismes agissent-elles sur les vieilles blessures oubliées?

B. van der Kolk. – Pour répondre à cette question, il faut comprendre d’abord comment le trauma s’imprime dans le corps. Quand un événement déborde notre aptitude à faire face, notre psychisme se fige. Les mécanismes d’adaptation biologique et psychologique, perturbés, ne réussissent pas à intégrer l’expérience. Des bribes de sensations, d’émotions sont «dissociées»: elles restent «coincées» dans les régions inférieures du cerveau qu’on appelle le système limbique, loin des régions du cortex frontal où s’élabore, grâce au langage et aux symboles, notre «discours autobiographique». Quand ces bribes sensorielles reviennent en mémoire, ce n’est pas sous la forme de souvenirs ordinaires mais d’intenses réactions émotionnelles. La souffrance, toujours prête à surgir, a donc été littéralement «encapsulée» dans des strates profondes de notre cerveau, hors d’atteinte de l’effort intellectuel ou de l’expression verbale.

N. O. – Sait-on pourquoi le cerveau rationnel est court-circuité?

B. van der Kolk. – Nous l’avons appris il y a une dizaine d’années en étudiant, grâce aux techniques d’imagerie, le cerveau de personnes souffrant d’ESPT. L’évocation du souvenir traumatique déclenche deux réactions simultanées: la région de l’amygdale, siège de la détection du danger, s’active, tandis que le cortex frontal, et particulièrement l’aire de Broca, siège de la parole, «s’éteint». La réactivation du souvenir est donc vécue très intensément, mais sans paroles. Accéder utilement au trauma suppose de trouver le moyen de calmer la réaction de panique pour pouvoir entrer en communication avec le cerveau émotionnel. La médecine occidentale n’est pas la plus efficace à cet égard.

N. O. – Malgré les anxiolytiques?

B. van der Kolk. – Nous savons comment inhiber le système limbique, presque toutes nos molécules médicamenteuses sont inhibitrices. L’action du qigong et du yoga, au contraire, est activatrice: elle mobilise la capacité innée à réguler le flux des émotions excessives.

N. O. – Comment des respirations et des postures y parviennent-elles ?

B. van der Kolk. – Pour faire court, nos études montrent que la respiration «attentive» des yogis permet, à travers le nerf vague, d’agir sur l’excitabilité du tronc cérébral. Cette région archaïque – appelée aussi cerveau reptilien – joue un rôle capital dans nos réflexes de survie. Quand elle est perturbée par un stress répété ou par un traumatisme, elle se dérègle et se met à «tirer la sonnette d’alarme» à tout propos. Nous n’en avons pas encore la preuve formelle, mais nous pensons que l’apaisement du cerveau reptilien est nécessaire pour que le lobe frontal puisse entrer en scène: alors seulement le vécu traumatique peut être élaboré grâce aux capacités symboliques du cortex supérieur, pour devenir un «récit» assimilable par le psychisme. Dans notre clinique de Boston, nous offrons par exemple des programmes de théâtre à des enfants des rues. Ils rejouent sur scène des événements traumatiques de leur vie, mais cette fois ils ne se contentent pas de les subir, ils les expriment avec leur corps et avec leurs mots. L’effet est très positif. (…) Psychiatre, neuroscientifique, professeur à l’Université de Boston, directeur du plus grand centre américain de traumatologie, Bessel van der Kolk est l’auteur de l’ouvrage de référence « Traumatic Stress: the Effects of Overwhelming Experience on Mind, Body, and Society », Guilford Press (non traduit en français).

Ursula Gauthier

Dans ce même dossier Ursula Gauthier rappelle dans un petit article intitulé « La revanche de Reich » que ce dernier fut un des premiers à avoir une vision unifiée de l’être humain en donnant au corps une place pleine et entière dans le travail de la cure. « (…) Les développements des neurosciences rendent justice à son intuition du corps porteur d’une mémoire psychosomatique inscrite par couches et accessible à des profondeurs différentes, du niveau de la peau jusqu’à celui de la cellule.

C’est aujourd’hui au niveau cellulaire que la recherche traque en effet les interactions corps- esprit, et les résultats qu’elle obtient auraient fait plaisir au pape de la force vitale. Après avoir cru un siècle durant que le nombre de nos neurones était fini et ne pouvait que diminuer avec l’âge, la biologie s’aperçoit depuis quelques années que le cerveau est en réalité capable de se régénérer, qu’il s’« auto répare » en développant de nouveaux neurones à partir de cellules embryonnaires présentes dans les tissus cérébraux. Cette « neurogénèse » – c’est le point important – ne se produit pas automatiquement, explique le psychologue Ernest Rossi (1). Elle est déclenchée par un certain type de comportement: la découverte d’une nouveauté, l’échange avec un environnement stimulant et la pratique d’un exercice physique. Toute activité qui allie le mouvement et la créativité et qui bannit l’ennui est régénératrice pour notre cerveau et donc bénéfique à l’état général. »

(1) «The Psychobiology of Gene Expression. Neuroscience and Neurogenesis in Therapeutic Hypnosis and the Healing Arts», New York, W. W. Norton Professional Books, 2002