Questionnements actuels et psychothérapie

Questionnements actuels et psychothérapie

questionnements_actuels_psychotherapieKandisky – Suave ascension (1934)

Selon certaines recherches publiées par la revue “Lancet” ainsi que des données de l’OMS et autres recherches universitaires, les personnes qui ont recours à l’usage de médicaments, en particulier les antidépresseurs, sont en constante augmentation.

Depuis l’an 2000, en Italie, les prescriptions ont doublé et augmentent d’année en année. En 2006, le chiffre déjà élevé en 2005 a été dépassé de 8%. Cela semble être un phénomène homogène en Europe comme aux États-Unis. Les médicaments sont prescrits pour combattre l’anxiété, la dépression, les crises de panique, les désordres du comportement alimentaire. L’âge de ceux qui ont recours aux pilules contre le “mal de vivre” s’abaisse. Ce n’est plus seulement la personne âgée qui a recours au médicament, mais de plus en plus souvent l’enfant qui a des problèmes scolaires, l’adolescent, le jeune qui s’installe dans son activité professionnelle, qui réalise ses projets, se marie ou devient parent. Les cas les plus diffus chez les jeunes en âge scolaire touchent des problématiques relationnelles, la présence de manifestations phobiques obsessives et de désordres liés à l’alimentation et à l’identité psycho-sexuelle.

Selon le récit de plusieurs médecins, ce sont souvent les parents qui demandent un antidépresseur pour l’enfant et si le médecin se refuse à le prescrire, ils consultent un collègue. Les antidépresseurs sont prescrits lorsque la personne a du chagrin pour la perte d’une personne chère, pour combattre le stress, pour les difficultés face à une crise relationnelle ou existentielle. Sa prise peut commencer dans l’enfance et se poursuivre avec l’antidépresseur de maman et papa, dans une sorte de “bricolage”(self made) familial. Un audit de l’OMS sur 37 études internationales a prouvé que 56% des personnes qui souffrent de dépression ne sont pas diagnostiquées.

Le débat porte l’attention sur l’augmentation du risque de suicide chez les jeunes de moins de 24 ans prenant des antidépresseurs de la dernière génération, ceux qui viennent après les antidépresseurs tricycliques, les Ssri (Serotonin Selective Re-uptake Inhibitors) la classe du fameux Prozac.

Selon une recherche effectuée auprès de 100 000 dépressifs participant à 370 expérimentations cliniques, 5 cas de suicides ont été signalés chez des jeunes en cure avec le Ssri et 2 chez des jeunes traités avec un placebo et plus de 500 signalisations de pensées suicidaires parmi les premiers et 240 chez les seconds.

Aux États-Unis, la Fda (Federal drug and administration) a obligé les laboratoires pharmaceutiques à insérer dans les boîtes de médicaments une note bordée de noir avec l’indication du risque de suicide pour les jeunes de 18 à 24 ans en plus de celle déjà obligatoire pour les mineurs de 18 ans.
La pilule est le mirage d’une réponse efficace et rapide au dépaysement, au manque de perspective, à la peur, mais c’est également un signal de malaise dans la vie quotidienne.
Quelle est l’origine de ce malaise ?
Freud, à la fin de sa vie écrit :”Pour le primitif, il est facile d’être sain, alors que pour l’homme civilisé c’est une tâche difficile”. Il attribuait la difficulté à un excès de règles qui gouvernent les sociétés civiles et inscrivait la dépression dans la catégorie des névroses, où l’on enregistre le conflit entre norme et transgression avec pour conséquence un vécu conflictuel de culpabilité.

Aujourd’hui, avec l’avènement de la culture de la globalisation, avec la stimulation à l’achat et à la consommation d’objets “use et jette”, avec le mythe de la science qui étend les perspectives de prolongement de la vie et du bien-être, un temps impensables, “les normes limitatrices n’existent plus, donc, ce qui un temps était interdit est glissé dans le possible et l’autorisé” affirme U. Galimberti, philosophe et psychanalyste jungien, reconnu en Italie.

L’horizon de référence se déplace donc de la norme, de ce qui est permis, à ce qui est possible, sans limites de barrage. La question qui se pose face au vécu dépressif n’est plus : ”Ai-je le droit d’agir de cette façon ?”, mais “suis-je en mesure de faire cette action ?”

Balayée la limite, le vécu subjectif est confronté au sens d’inadéquation, si ce n’est d’anxiété ou d’inhibition. Le sujet se trouve face à sa liberté, à la responsabilité qui en découle, mais aussi à l’incapacité à utiliser la première et à assumer la deuxième. La première cause de dépression est l’expérience que vit la personne de se sentir inadéquate à ce que la vie lui demande. Le médicament avec ses promesses de toute puissance et d’homogénéisation aux requêtes sociales, vient en aide au sujet, lui permettant ainsi le dépassement de cette limite que la chute dans la dépression délimite. Similaires sont les promesses qui peuplent la dépendance des drogues.

Le pharmaco-dépendant et le toxicomane ont deux façons différentes d’enfreindre la barrière entre le “tout est possible” et le “tout est permis”, toutes deux fonctionnelles à faire taire le symptôme, à induire le sujet à se dépasser soi-même, à devenir une réponse aux exigences d’autrui, homogène à la communication de masse avec ses normes de socialisation et ses exigences d’efficacité.

Il en découle un assèchement de la vie intérieure, une anesthésie de la vie émotionnelle, un étouffement de la souffrance subjective. La médecine nous fait vivre plus longuement mais en ce qui concerne le bonheur, il faudra attendre, ce n’est pas son travail.

Sans vouloir “démoniser” les médicaments, nécessaires à certains moments et dans certaines situations, le véritable antidote à la dépression et au mal de vivre consiste à donner une place à la souffrance, aux contradictions et aux insuffisances, reconstruisant un lien social conforme aux aspirations et aux possibilités du sujet.

L’Homme n’est pas fait pour la communication de masse qui rend silencieux les battements de son cœur. On se perd dans la vastitude de la mer quand on ne trouve pas des lieux d’abordage pour réconforter ses besoins et ses désirs. Il n’existe même pas de sauf-conduits souterrains qui puissent cacher les émotions, les souffrances, les désirs inavoués. Le prix à payer serait le manque de nourriture de la vie même. L’être humain donne de la valeur à l’acte éthique, au choix singulier sur ce qu’il y a à faire, la relation à l’autre, même si elle est entremise par les phantasmes qui traversent le sujet.

Comme l’ombre qui, pas à pas suit l’homme, l’inconscient lui, accompagne le sujet dans le sentier de la vie. Freud en a seulement dévoilé sa présence. L’inconscient peut trouver un abri dans la période de la croissance et durant l’hiver de l’âme, dans des zones protégées, pour permettre à la personne de s’ajuster et s’arranger avec les phantasmes qui l’habitent dans les antres que le monde lui réserve. Mais quand la chaleur du printemps revient, le sujet revendique la conquête des espaces pour montrer ses talents et faire vivre ses propres mouvements. Si, d’une part, les traumatismes tendent à anesthésier les émotions, d’autre part les émotions expulsées de la conscience agissent pour se représenter dans les moments les plus impensables et celles qui sont plus intimes et plus angoissantes se présentent souvent camouflées. Parfois, c’est le corps qui se rappelle de faits que la tête a oublié, et parfois encore c’est le mystère qui restera inconnu, à s’en charger.

Ce sont ces espaces que nous, psychopraticiens sommes appelés à dévoiler et à protéger, lorsque la souffrance intérieure de la personne qui demande de l’aide obnubile sa vision et les obstacles intérieurs ou extérieurs obstruent le sentier de l’action.

Les émotions, non seulement ont besoin d’un humus fertile pour pouvoir s’exprimer, mais il faut aussi un terrain nettoyé pour mettre en lumière les empreintes du sujet, les différenciant de celles des autres.

Loin d’être instinctivement “naturelles” ou de refléter la personnalité plus intime de celui qui les vit, les émotions sont avant tout le produit de la participation émotive du sujet au ressenti des personnes qui l’entourent et à la marque laissée par les générations précédentes. L’enfant fait confiance à l’adulte et fait siens, les états émotifs de ceux qui l’entourent. Ses émotions sont reliées au comportement de ceux qui sont autour de lui, qu’il s’agisse de la famille, d’un ami ou d’un enseignant. Parfois, il est dépositaire des émotions douloureuses que ses parents, sans s’en rendre compte, ont déposé durant son enfance dans un espace intérieur profond. Depuis déjà la période précédent sa naissance et durant toute l’enfance, l’enfant est “parlé” par l’autre, son image est entremise par l’adulte. On ne peut pas soigner un enfant sans avoir l’œil sur les peurs et le vécu de ses parents. Aucun objet du besoin ne peut le satisfaire.

L’objet de la satisfaction, drogue ou bien objet gadget, n’a aucune mesure commune avec le sujet humain, il est incommensurable à la santé, aux angoisses dérivant de ses questions non résolues : d’où venons-nous et où allons nous ?

L’antiquité a inventé le mythe, la fable, la religion pour trouver une façon d’exprimer l’impossible à se dire, ce que la raison n’arrive pas à expliquer : le récit mythologique indique la trace vers le trésor, la fable accompagne le sujet pour traverser la forêt des peurs habitée par des montres, la religion tempère l’angoisse des réponses non résolues.
Quels sont les mythes opérant dans l’actualité ? La science, les neurosciences, le succès, le bonheur, l’amour, le fondamentalisme religieux, le fondamentalisme tout court ?

La science, le marché, la communication de masse, n’offrent pas au sujet la carte du parcours vers le bonheur, mais plutôt des objets “prêts à consommer” y compris l’objet humain, la relation.
L’objet consommé, le sujet vit dans la panique, dans la dépression, sans trace de critique quant à son investissement, avec la seule perspective de la chasse aux nouveaux objets. Quand le récit, la parole, la relation manquent, quand le mythe est privé du logos, le gouffre du vide se rouvre. Il est un point de l’impossible que les mythes ne peuvent traiter. La complémentarité platonique de l’amour spéculaire se dissout comme la neige aux premières chaleurs et couleurs du printemps. Le bonheur souffre de l’incommensurabilité entre le sujet et son objet. Le succès déchaînant un résidu mélancolique, rend la personne malade avant d’atteindre le désir ou après sa satisfaction. (confronter le texte de Freud de 1916 “Ceux qui succombent au succès”)

A la psychothérapie incombe le devoir de réintroduire l’existence d’un plan qui met d’accord le conflit avec la règle de la loi, qui inclue l’inconscient et qui considère l’Autre comme patron du rapport de l’homme avec soi- même.

Elle n’est donc pas facile la tâche du psychopraticien, celle d’accompagner le sujet à séparer ses désirs, peurs et émotions de ce qu’il a absorbé dans l’enfance sous l’influence de l’Autre. C’est un passage qui demande le temps nécessaire pour élaborer à nouveau émotions, sensations, états physiques et phantasmes pour construire de nouvelles représentations et voies de jouissance pouvant être parcourues et qui lui permettent de se débrouiller diversement dans la vie, jusqu’à faire du propre destin un choix et une construction singulière.