La nécessité intérieure

La nécessité intérieure

Nécessité intérieure

Interné à la maison de la santé de Charenton, le marquis de Sade organise et met en scène des pièces de théâtre et fait répéter ensemble des comédiens professionnels, des malades et des soignants.

Arcy-sur-Oise : Séraphine Louis, femme de ménage, vole à l’église l’huile des lampes, ramasse de la terre qu’elle mélange à son propre sang, rassemble des ingrédients tout à fait insolites pour donner vie à des peintures qu’elle exécute en état d’extase. Tout comme Camille Claudel, elle meurt abrutie de médicaments dans un hôpital psychiatrique.

Sourd, muet et borgne, pour Pierre Avezard, dit “Petit Pierre”, garçon vacher, rien ne se perd : boîtes de conserve, morceaux de tôle, piquets de bois, pneus usagés. Tout se transforme, une fois découpé, raboté et assemblé en un manège merveilleux. Il mettra près de 40 ans pour en venir à bout.

“Je dessine mes tableaux après avoir fixé le papier d’emballage au mur et un poids à mon poignet afin qu’il obéisse avec encore plus de difficultés à mon cerveau. Je suis assez content du résultat.”, dit Gaston Chaissac lors d’une interview en 1964.

Dessins fantasmagoriques, collages kitsch, architectures labyrinthiques, jardins féeriques, écritures étranges, sculptures insolites, témoignages de voyages imaginaires, mobiliers fantaisistes, masques et poupées inquiétants, vêtements grotesques, robes de mariées immettables… infini inventaire d’un “art des fous” que Jean Dubuffet en 1945 nomme “art brut”. Un art produit par des non professionnels travaillant en dehors des normes esthétiques convenues, souvent illettrés, restés à l’écart du milieu artistique, ou ayant subi une rupture sociale et psychologique suffisamment forte pour qu’ils se retrouvent totalement isolés et se mettent à créer.

Par delà l’émotion esthétique qu’elle peut susciter, l’œuvre brute est œuvre de lutte, de résistance : résistance au conformisme, résistance à l’isolement, à l’exclusion et à l’enfermement, résistance à la souffrance extrême. C’est là sans doute que se trouve l’expression la moins biaisée de l’inconscient créateur, sans filtre déformateur ou lénifiant.

Ce sont les aliénistes qui s’intéressent en tout premier lieu à cet “art des fous”, lorsque les asiles, qui jusqu’alors avaient eu comme rôle d’isoler les fous pour protéger la société, deviennent des lieux où les troubles de l’esprit vont faire l’objet de recherches et d’analyses pour décrypter les symptômes de la folie et endiguer le mal. C’est dès le 19ème siècle, en milieu psychiatrique, que l’art psychopathologique est utilisé dans toutes ses expressions comme interface entre l’imaginaire, l’inconscient ou le délirant et le thérapeute.

Si l’art thérapie entretient des liens préférentiels avec l’art brut et l’art psychopathologique par la similarité du processus créatif qui vise essentiellement l’expression spontanée et personnelle, sans préoccupation de la qualité ou de l’apparence de l’œuvre, elle s’en différencie singulièrement.

L’art thérapie œuvre, non dans une lutte, ni à des fins d’analyse des symptômes, mais à laisser apparaître le processus de création comme porteur de sens et de transformation. Dans cet élan créateur et libre, l’individu fait signe : il exprime et explore l’énigme de son propre processus à travers l’œuvre qui est en train de se faire et qui donnera à voir. La confrontation à la matière créée est salutaire par le rôle de l’imaginaire qui peut s’y inclure, par la mise en forme d’une énergie psychique et par le sens symbolique que le sujet peut y trouver. L’art et la thérapie sont conjointement porteurs de l’élan créateur qui permet au sujet de sentir, d’exprimer et de trouver lui-même le sens afin de se réapproprier sa vie et de prendre soin de l’Etre qu’il est.

Lorsqu’il y a des choses impossibles à dire, une difficulté à être sujet de la parole. Lorsqu’une personne est en proie à ses images intérieures, ses représentations, à la merci de ses rêves et de ses affects, d’un savoir ou d’un pouvoir extérieur. Lorsqu’elle se sent menacée dans son intégrité, confrontée à la folie du chaos. Lorsqu’elle ne trouve pas l’issue pour continuer son chemin de vie, le thérapeute en lui proposant de créer, l’invite à renouer avec l’élan vers la beauté intérieure et le profond désir spirituel que Kandinsky appelait “la nécessité intérieure“ et qu’il tenait comme principe essentiel de l’art.