Le toucher en thérapie psychocorporelle

Le toucher en thérapie psychocorporelle

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Je vais essayer de chauffer la voix, car j’ai la gorge prise, pour que vous puissiez m’entendre, m’entendre parler de « toucher ». Je vais donc parler de quelque chose qui est autre que des paroles, puisque le toucher c’est une expérience, c’est un vécu. Pour commencer, je vous propose de l’expérimenter… Claude n’a pas hésité – mais on se connaît – à me toucher tout à l’heure, pendant son intervention. Vous allez prendre contact avec votre propre corps ou, si cela ne vous gêne pas, avec la main de votre voisin. Prenez contact, allez-y… Rentrez dans le vécu, rentrez dans l’expérience. Regardez… Voilà… Juste un petit instant… : (bruits dans la salle) … Vous avez vu comme le fait de toucher déclenche beaucoup de mouvement ! Vous verrez que dans ce dont je vais vous parler il y a le mouvement. Regardez déjà ce que vous percevez dans ce contact. Contact d’une main, contact qui est simple. Regardez… Prenez contact, regardez l’aspect tactile… Je touche la peau, la peau qui a une chaleur, une texture, vous sentez tout cela…

Toucher est vital

Et en même temps, vous voyez qu’au-delà de cette première expérience, qui est l’expérience plus physique, dirais-je, vous pouvez entrer en contact avec autre chose. Voilà, c’est ça le toucher, c’est… Prenez contact : et au-delà, il y a autre chose… Si vous voulez arrêter vous le pouvez… si vous voulez garder le contact vous pouvez aussi… Sentez tout ce qui se passe quand vous touchez quelqu’un. Dans le toucher existe un aspect vital. Le nourrisson a besoin de contact. L’absence de contact dans les premiers mois de la vie peut être source de maladies psychosomatiques. L’enfant ne peut pas vivre sans être touché.

Le toucher est codifié par la culture

En même temps vous avez vu combien ça fait réagir, parce que le toucher est de plus en plus exclu du quotidien ; il est limité dans toute société qui se civilise : le contact physique prend, avec toute civilisation, de moins en moins de place : on accepte de toucher la main de l’autre, s’embrasser est déjà plus impliquant… Deux femmes cela va encore, mais deux hommes, c’est quelque chose qui peut gêner. Et en France, plus on monte vers le nord, moins cela se fait en public, plus on « descend » vers le sud, d’où je viens, plus cela se fait de façon plus spontanée.

Donc ce toucher est limité parce qu’il est codifié. Je voulais commencer à parler du toucher en rappelant qu’un toucher n’est pas naturel. Le retour du toucher en psychothérapie a donné naissance au massage californien, souvent présenté comme du « toucher naturel », avec l’idée de retrouver un toucher qui serait là, présent chez tout le monde, un peu dans l’optique rousseauiste. Or le toucher naturel n’existe pas. Toute manière d’aborder le corps et le toucher, qui veut dire d’aborder la sexualité, la sensualité, est codifiée par toute société. Donc le toucher est quelque chose de codifié. Bien entendu, suivant la société où vous êtes, il y a des manières de se toucher qui sont admises. Par exemple en Orient on peut être nu, on peut se toucher en privé, il y a donc une grande liberté ; mais en public on ne montre pas le toucher, on ne s’embrasse pas. En Occident on peut être très pudique en privé et au contraire on peut s’embrasser, se faire des petits bisous à l’extérieur. Ça veut dire que toucher, être touché, c’est lié à un contexte culturel, à une société.

Après ce préambule, on peut parler du toucher en psychothérapie, c’est-à-dire dans un domaine bien particulier. Il faut donc avoir à l’esprit que les gens qui viennent en psychothérapie arrivent avec ce poids, cette manière culturelle d’aborder le toucher. On ne peut pas appréhender le toucher en Orient comme en Occident. On ne peut pas l’aborder dans un pays calviniste, par exemple, où on est plus serré au niveau du corps, comme dans un pays où on est plus libre dans le contact corporel. Quelqu’un qui arrive dans un cabinet de psychopraticien en médiation du toucher arrive donc avec toute cette histoire, ce contexte.

Le toucher dans les différentes approches thérapeutiques

Le toucher en psychothérapie est présent dans beaucoup d’approches. Dans toutes les approches psychocorporelles ; même en psychanalyse. On oublie souvent de mentionner qu’à une certaine époque, Freud, qui était un adepte du massage médical, massait beaucoup ! C’est intéressant de voir qu’à cette période il était dans sa phase d’élaboration de la psychanalyse. La psychanalyse telle qu’elle est aujourd’hui n’existait pas encore à ce moment-là. Freud masse par exemple deux fois par jour l’une de ses patientes ! Voyez : l’importance du toucher, déjà, était admise par lui. Puis il est passé, bien sûr, dans le concept psychanalytique, à l’interdit du toucher, puis au tabou du toucher. A un moment donné, donc, le créateur de la psychanalyse a pratiqué le toucher.

D’autres approches permettent le toucher: quand vous allez voir un psychopraticien corporel, il va d’abord vous toucher la main. Le contact client-thérapeute est admis : on peut serrer la main, mais on peut aussi, à un moment donné, comme Claude Vaux en parlait tout à l’heure, positionner la personne : lui donner un contact, lui donner une position, pour lui faire prendre conscience, pour lui donner un soutien. Déjà le toucher peut donc être admis comme un contact, un accompagnement, qui permet à la personne d’avoir un autre type de relation que la relation verbale.

Le toucher peut aussi être utilisé dans certaines pratiques thérapeutiques comme un contact qui permet une prise de conscience. Je parlerai de la bio-énergie et des pratiques reichiennes et néo-reichiennes. On prend conscience d’une tension, d’une partie du corps. Ce toucher, déjà, va plus loin : ce n’est plus un toucher de soutien, c’est un toucher de confrontation. Je suis en contact avec une partie de mon corps ; je vais pouvoir déjà, à travers le toucher, laisser aller, peut-être, une émotion, un mouvement, une image, un souvenir… Ces pratiques offrent un apport supplémentaire. Le « rebirther », par exemple, dans une pratique de respiration, va amener un contact avec la poitrine de la personne, pour l’amener à respirer. Le rebirth est en effet une thérapie de la respiration.

Mais le toucher peut être aussi une fin en soi. C’est-à-dire que le psychopraticien psychocorporel peut l’utiliser comme une technique, une approche de l’être à part entière. Une mise en contact avec l’inconscient corporel, avec l’intelligence du corps, pour reprendre les mots de Claude Vaux. Le toucher est, non un passage à l’acte, mais une mise en action. Je le précise, car dans certaines approches, on considère que le toucher n’est plus du domaine thérapeutique. Une mise en action de quoi ? C’est ce que nous allons voir maintenant.

Notre structure corporelle représente nos scénarios de vie

Le père de l’approche du toucher en psychothérapie est Reich. Il a parlé de la cuirasse caractérielle : pour lui, toute rigidité musculaire contient l’histoire et la signification de son origine. Donc qui dit cuirasse caractérielle dit cuirasse corporelle: les difficultés, les problèmes que j’ai sont dans la psyché, mais ils sont aussi dans la structure corporelle. Je développe donc dans mon histoire une structure, une posture – j’y reviendrai, car quand on touche quelqu’un, on touche cette structure – qui lui a permis de s’adapter à son milieu. Je dis toujours aux personnes qui viennent me voir : vous êtes là, vous avez été intelligent ; vous êtes vivant. Celui qui ne l’a pas été ne s’est pas structuré pour s’adapter à ce qu’on lui demandait dans son milieu, dans son histoire. Si je suis vivant, c’est que j’ai été intelligent. Je me suis structuré pour me protéger, pour m’adapter : voyez l’importance de la structure que j’ai : elle est vitale pour moi. Sinon, je ne serais pas là. Je serais soit mort – je parlais des enfants en carence du toucher – soit je n’aurais pas pu résister à la pression que le monde mettait sur moi, si j’ai perçu le monde comme hostile.

Pour Reich, la difficulté, la névrose, c’est un conflit qui est intériorisé entre les besoins pulsionnels, les besoins à l’intérieur de nous, et les obstacles du monde extérieur. L’extérieur va agir, et la névrose – la cuirasse que je mets en place – représente cette protection, ce conflit avec le monde. Conflit qui empêche le mouvement : un mouvement intérieur. Reich a parlé du concept d’énergie. Pour lui, l’unité fonctionnelle entre la psyché et le corps est permise par l’énergie, qu’il appelait l’orgone. Ce qui permet la relation entre le corps et l’esprit, c’est l’orgone. Qu’est-ce que l’énergie ? Les physiciens parleront d’un concept vibratoire : quelque chose qui circule, qui bouge, qui est libre, qui est profond… On le retrouve aussi dans les pratiques de toucher qui sont d’origine asiatique : l’acupuncture parle de l’énergie qui circule le long de méridiens, de trajets énergétiques. Reich parle donc de cette énergie qui circule à l’intérieur de la personne. Cette énergie amène une pulsation de vie : avez-vous conscience de la façon dont vous respirez ? Quand vous inspirez, il y a un mouvement d’expansion et ensuite, quand je souffle, c’est une contraction : quelque chose qui me ramène à l’intérieur. L’énergie est donc ce qui permet cette pulsation de vie : expansion – contraction.

Tout le mouvement reichien a donné naissance ensuite à la bio-énergie, à Pierrakos, à Lowen : tout ce mouvement est parti du principe que l’on pouvait considérer que la problématique de quelqu’un, son scénario de vie, en quelque sorte, est aussi inscrit dans son corps sous forme d’une structure corporelle. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais cette structure a des niveaux et suivant le niveau où j’ai des problèmes, ça a un sens. Reich est donc le point d’origine de ce mouvement.

Du massage californien au massage reichien :
de la prise de conscience à le rencontre des tensions

Comment aborder quelqu’un, avec cette cuirasse, à travers le toucher ? Quels sont les outils ? Actuellement, on entend parler un peu plus du massage, du toucher : qu’est-ce qui fait qu’on parlera de massage ou plutôt de toucher thérapeutique ? Qu’est-ce qui va faire la différence ? Si vous allez voir un thérapeute en médiation du toucher, qu’est-ce qui va se passer de différent d’avec, par exemple, une cure de thalassothérapie, où vous recevrez un massage ?

Pour le massage, il y a d’abord toute l’approche du massage médical : il s’agit d’amener une prise de conscience du corps : je prends conscience de mon corps, je lui fais du bien, je le soigne. Je soigne le corps à travers ce toucher. Mais le rapport entre la personne qui vient se faire masser et le thérapeute est à sens unique : « Docteur, soignez-moi » ; donc moi je n’ai rien à faire, je ne suis pas responsable. C’est ce fameux corps-objet, dont parlait Claude Vaux, ce corps que je laisse entre les mains de quelqu’un ; c’est efficace, mais on s’aperçoit que ça ne dure pas. C’est un peu comme quand j’ai un problème vertébral : je vais chez quelqu’un qui me remet la vertèbre en place, mais s’il y a autre chose derrière ce problème – et c’est souvent le cas – ma colonne vertébrale va de nouveau se déplacer. Dans l’approche médicale, je ne suis pas responsable de ce qui m’arrive. Je vais voir quelqu’un qui va me faire du bien.

Dans les approches psychocorporelles, on parle du massage californien : le sensitive gestalt massage, qui a été introduit par les groupes de rencontre, ce grand mouvement de la psychologie humaniste. C’est un massage qui se veut un massage de bien-être et de détente. Là aussi, j’attends du masseur qu’il me fasse du bien, qu’il me détende. À ce moment-là, effectivement je vais être détendu, mon corps va se relâcher : je peux relâcher mes épaules, les poids que j’ai à l’intérieur du corps. Mais ensuite c’est la même chose : je ne suis pas responsable : je sens mon corps, je sens une unité, mais je ne change pas en profondeur.

Les massages réflexes, déjà, ont une approche différente. J’en parle parce que je pratique le shiatsu. L’idée est que quand vous touchez la peau de quelqu’un, vous touchez l’intérieur : c’est à dire que vous touchez les viscères. Il y a donc un rapport entre l’intérieur et l’extérieur. Or en énergie chinoise on considère que chaque viscère est reliée à un aspect émotionnel. Chaque viscère est reliée à un comportement. Quand je touche quelqu’un, je suis donc relié au corps, à l’intérieur du corps, mais aussi à la psyché, aux émotions, au comportement que j’ai dans la vie. Et ça va encore plus loin, puisque quand je touche quelqu’un, je suis relié à la Nature, donc au Monde. Puisque malheureusement, vous voyez, actuellement, j’ai un rhume : je viens du sud, changement de température, on passe à l’automne : l’automne correspond à une fragilité des poumons et on attrape des rhumes. Il y a donc un lien entre mon vécu et la Nature, mon vécu et le Monde. Dans l’approche orientale, l’Homme n’est donc pas juste un corps – un corps-objet – mais il est un corps en relation avec l’intérieur, avec des émotions, avec un vécu, avec le Monde.

Il y a d’autres techniques, par exemple le rolfing, qu’on pratique dans l’intégration posturale. Peut-être certains d’entre vous l’ont-ils pratiqué. C’est une approche sur le tissu des fascias – comme dans la fascia-thérapie – pour rééquilibrer la personne, la restructurer. Il y a des endroits où il y a trop d’énergie, et ces endroits sont très développés, d’autres au contraire où il y a un manque. Il s’agit donc de rééquilibrer le corps, de faire lâcher l’endroit où il y a trop d’énergie, et de nourrir ou d’amener un contact plus profond avec des endroits qui ne sentent pas, qui ne sont pas présents. Cela en relation avec la gravitation, puisque je suis un être debout. Donc je me restructure : je défais les contractures et je nourris les manques. Mais là encore, Ida Rolf disait : « Il n’y a pas de psychologie, il n’y a que de la physiologie » : cela signifie qu’on ne s’intéresse pas au vécu de la personne, à l’émotionnel : à ce mouvement de la personne qui fait que j’ai des sentiments, j’ai un vécu intérieur. Ici on en est à la structure, au corps.

Puis on arrive au massage reichien : Reich amène l’aspect de la respiration. Toucher, c’est respirer. A travers la respiration, j’amène un contact avec ces tensions, et je les mets en mouvement : je vais les assouplir. Et à ce moment-là quelque chose peut se passer : ce peut être une libération, ou une prise de conscience. Là on arrive à la relation psychosomatique, c’est à dire au lien entre le corps et l’intérieur – cet intérieur qui est si souvent séparé de l’esprit.
Je ne parlerai pas de Veldman, fondateur de l’haptonomie, qui propose aussi un contact corporel thérapeutique : on se prolonge, c’est à dire qu’on touche la personne et on imagine qu’on peut aller au-delà du contact. Il y a un passage de l’intérieur vers l’extérieur : ce corps n’est plus une enveloppe rigide qui a des tensions, des problèmes, mais c’est une frontière – en gestalt on parle de frontière-contact – entre l’intérieur et l’extérieur.

L’énergie caractérise le toucher en psychothérapie

Le processus du toucher peut être envisagé de multiples manières, comme vous le voyez. Chaque thérapeute du toucher va vous dire que sa manière de travailler est la meilleure, bien sûr. Lui, il sait, il agit. Comment s’y retrouver dans ces approches, et qu’est-ce qui caractérise vraiment l’approche du toucher en psychothérapie ? Pour moi, c’est l’aspect énergétique. Je suis un être humain, j’ai un corps, j’ai une intériorité, j’ai une psyché, j’ai des pensées, et cette unité se fait par cette énergie. L’énergie, c’est ce qui me rend vivant.

Quand quelqu’un vient me voir pour aborder le toucher, je prends d’abord contact avec lui. Un contact pour créer une relation de confiance avec lui, pour qu’il y ait une possibilité que quelque chose se passe. Ensuite, ma main va toucher des zones, qui peuvent être des zones de manque, qui n’ont pas été nourries ; ce peut être des zones figées, au contraire – on parlait tout à l’heure de cuirasse – figées dans de la raideur, dans quelque chose qui ne permet pas le mouvement. Et ma main, à ce moment-là, va amener la personne à prendre conscience. La première chose, c’est « je prends conscience que j’ai cette partie du corps ». « Je prends conscience que cette partie du corps m’appartient » : je me la réapproprie. Le toucher amène donc une prise de conscience et une réappropriation de mon corps. C’est une réappropriation des différentes parties de mon corps. Bien entendu ça ne se fait pas comme ça, d’un coup de baguette magique. Si je me suis figé à un endroit c’est que là, dans cette zone du corps, il y a une souffrance, un processus douloureux. Je touche quelqu’un : ça peut être tout à coup l’émergence de quelque chose qui s’est passé, l’émergence d’un événement traumatique que j’ai refoulé, que j’ai gardé à l’intérieur.

Toucher la personne va laisser revenir tout ce que j’ai refoulé, qui a fait que j’ai bloqué dans cette zone du corps, que je n’y suis plus vivant. Le thérapeute du toucher va amener une conscience, une vie à cette partie du corps. Et chaque fois que je touche quelqu’un, je vais réveiller, je vais permettre une libération.

Prenons l’exemple de quelqu’un qui a eu un traumatisme, une grande tristesse. Si par exemple je n’ai pas vécu le deuil ou la séparation d’avec un être cher, je vais souvent avoir quelque chose de lourd à l’intérieur de ma poitrine, de mon cœur. Donc quand je suis touché par le thérapeute à cet endroit-là, je vais prendre conscience. C’est-à-dire que je sais que j’ai été triste, mais je me suis coupé de l’expérience du vécu, parce que c’était « trop » : c’était trop difficile. Quand, en tant que thérapeute, je touche une personne, je lui permets de prendre contact avec ce vécu, cette souffrance, cette tristesse, et je lui permets de l’exprimer. La personne peut « lâcher », exprimer : ce peut être des larmes pour une certaine partie du corps, une grande colère pour une autre partie… je peux avoir le ventre tordu de ma peur, dans une situation donnée… Et à mesure que je me réapproprie les zones de mon corps, je redeviens entier : puisque la souffrance vient de la séparation. Je reprends donc contact avec moi-même, c’est à dire je reprends contact avec des zones de moi que je ne voulais pas voir : Jung appelle cela « l’ombre ». Je reprends contact avec mon ombre, mon démon intérieur, ce que je ne veux pas regarder, que j’ai mis de côté. Je vais donc me sentir un peu plus entier.

Le toucher : une approche de la relation

Mais au-delà de me sentir plus entier, qu’est-ce que le toucher thérapeutique va me donner de plus important ? C’est l’aspect relationnel. Le toucher c’est une prise de contact, une libération, mais aussi une relation. C’est une relation de proximité : vous l’avez vu tout à l’heure, quand je vous ai proposé de prendre contact les uns avec les autres. L’Américain Hall parlait d’une technique qu’il appelait la proxémie. Il considère qu’à moins de 45 cm au toucher, on est dans une relation d’intimité. Au-delà d’1,20 m on est dans une relation sociale. C’est-à-dire qu’en société, si quelqu’un reste à une certaine distance de vous, il ne vous dérange pas : vous l’avez sûrement déjà expérimenté ; et si cette personne se rapproche de vous, tout à coup vous vous dites « Mais qu’est-ce qu’il me veut ? ». Parce qu’il rentre dans mon espace personnel. Et quand la personne s’approche de vous – et c’est ce qui se passe dans une relation de toucher – la personne se sent abordée dans son intimité, dans quelque chose de profond.

Le toucher amène donc une relation d’intimité, dans le donner et dans le recevoir. Donc toucher amène aussi un cadre relationnel. J’ai parlé des techniques du toucher, mais il faut aussi voir comment j’accueille la personne dans un espace, dans un cadre relationnel. Or la gestalt est une manière d’aborder la personne, une philosophie thérapeutique dans la façon de l’accueillir. Cette philosophie est dans l’ici et maintenant. Dans l’ici et maintenant d’une séance, j’accueille la personne. Je ne sais pas ce qui va se passer. J’accueille quelqu’un, et je vais lui laisser vivre son expérience. Toucher, ce n’est pas : j’ai une idée préconçue, la personne doit être droite, si elle a les épaules comme ci, je vais les lui mettre comme ça. Je n’amène pas un modèle. Donc j’accueille l’autre comme il est. Avec ce corps-souffrance, ce corps-mémoire, ce corps qui est aussi potentiel. Quand je touche quelqu’un, je lui permets de vivre une expérience, qui va se traduire par des sensations – tout à l’heure vous avez peut-être vous aussi senti : je sens un contact, je prends conscience de ma main. Ce qui est souvent étonnant quand on touche quelqu’un, c’est que la personne découvre une partie du corps. Cela m’est arrivé par exemple avec un homme dont j’ai touché les pieds ; je lui ai dit : « Vous avez conscience que vous êtes sur vos deux pieds toute la journée, que vous êtes en contact avec vos pieds ? ». Et cette personne s’est rendue compte qu’elle avait des pieds, elle a pris conscience de ses pieds.

La personne qui est touchée laisse venir des sensations : « J’ai deux pieds ! » ; « Je respire et je n’avais pas conscience, auparavant, que j’avais la respiration bloquée » ; « Je sens que je peux bouger mon corps… ». Je peux aussi percevoir, au-delà du mouvement, que j’ai une émotion. Je peux donc laisser aller des émotions. Je peux aussi laisser venir des images. Le toucher amène une stimulation de tous les niveaux de l’être, de tous les niveaux de la personne : souvenirs, images, sensation de la frontière de mon corps, mais aussi sensation de mon intérieur… Et je peux sentir mon être souffrant, mais aussi mon être en devenir.

Dès que j’aborde le toucher, je dois avoir à ma disposition, en tant que thérapeute, une palette d’instruments. Le thérapeute du toucher est un artiste, en quelque sorte : suivant ce qui se passe dans la séance, je peux accueillir l’autre avec ses images, ses couleurs, ses souvenirs (avec le travail verbal). Accueillir son mouvement : cette envie de bouger, de prendre de l’espace. Quelquefois, si j’ai été contraint, je peux avoir besoin de prendre de l’espace. Je peux respirer aussi, crier, chanter… Je peux être. Le contact du corps permet cette manifestation à différents niveaux de la personne.

Être dans ma profondeur pour accueillir l’autre

Si je veux créer cet espace de transformation, où l’autre peut être lui, dans l’ici et maintenant, et se mettre à bouger là où il a envie d’aller, il faut, en tant que thérapeute, nettoyer à l’intérieur de moi-même. Si je suis trop dans mon besoin, je ne peux pas accompagner l’autre. À un moment donné, en tant que thérapeute du toucher, je me suis posé la question : pourquoi est-ce que je fais du toucher ? En quoi cela me concerne-t-il dans mon histoire ? En quoi ai-je manqué de toucher, en quoi, peut-être, sur le dos de mes clients, ne suis-je pas en train de me nourrir, de me faire du bien ? Claude disait qu’un élément indispensable de la formation d’un thérapeute était de faire une thérapie personnelle : je pense qu’un thérapeute du toucher doit faire une thérapie personnelle par le toucher.

Il s’agit de nettoyer son intérieur, d’entrer en contact avec sa partie profonde. Jack Painter, qui est le créateur de l’intégration posturale, appelle cette partie profonde le centre. Kepner, qui est aussi un thérapeute du toucher, le nomme le Soi. Pour ma part je parle souvent de ma verticale, de ma profondeur. Je dois donc entrer en contact avec cette partie de moi où je crée un espace de mouvement suffisamment libre pour la personne : et pour cela moi-même je dois être libre à l’intérieur, libre de mes propres problématiques. Je ne dis pas que je n’en ai plus : j’ai aussi encore des choses à travailler. Mais j’ai un autre regard sur ces problématiques ; je peux me distancier. Et s’il le faut, si elle viennent, je peux les utiliser : c’est l’utilisation de ma propre expérience, dans le contre-transfert. Je peux laisser suffisamment de clarté pour que l’autre devienne lui-même. Quand je suis dans mon centre, dans ma profondeur, je sens. On peut parler d’une perception ; on sent où l’autre crie, où l’autre aspire à ce changement, à quel niveau : est-ce le niveau du corps ? Est-ce un besoin de parler ? À ce moment-là je me laisse guider par cette intuition, cette perception, et je peux me mettre dans ce qu’on appellera l’intention juste.

Pour conclure : le toucher en psychothérapie est donc une approche intégrative de l’être qui inclut les aspects somatiques, psychologiques et relationnels, qui prend en compte le personnel et le collectif. Cette approche rassemble tous les aspects de l’individu pour qu’il puisse se vivre dans sa globalité à travers son expérience et la relation thérapeutique.