L’intelligence du corps

L’intelligence du corps

Intelligence_du_corps

Extrait des actes du colloque de l’AETPR : La place du corps en psychothérapie, disponible ici en édition imprimée.

J’ai cherché dans le Petit Larousse et le Petit Robert la définition de l’intelligence. Voilà ce que j’ai trouvé : « La faculté de connaître, de comprendre ». Et le Larousse d’ajouter : « L’intelligence distingue l’homme de l’animal » ! Mais le Petit Robert parle, lui, d’une intelligence animale. Je vais revenir sur ce sujet car c’est une question qui fonde beaucoup de nos croyances encore aujourd’hui dans la relation que nous avons avec notre corps, et aussi avec le corps du monde.

Notre corps, l’animal en nous : outil, machine à obéir ?

Je vais vous lire la conclusion d’un ouvrage collectif dirigé par Boris Cyrulnik. Le livre est composé d’une série d’interviews et s’appelle «La fabuleuse aventure des hommes et des animaux ». Boris Cyrulnik est interviewé par une journaliste. Il dit : « Le jour où l’on acceptera enfin qu’il existe une pensée sans parole chez les animaux, nous éprouverons un grand malaise à les avoir humiliés et considérés aussi longtemps comme des outils.» La question qui suit immédiatement est alors : « N’est-ce pas ainsi que nous considérons notre propre corps, l’animal en nous : comme un outil, une machine qui doit nous obéir ? ».

Pour aller un peu plus loin, j’aimerais évoquer trois façons d’envisager le corps, qui ont été répertoriées par Wilhelm Reich, qui était – tout le monde le sait ici – disciple de Freud. C’est l’un des premiers qui, dans le courant psychanalytique, s’est intéressé au corps. Il s’y est d’ailleurs intéressé au départ pour des raisons principalement économiques. La psychanalyse, demandant beaucoup de temps, n’était pas adaptée aux pauvres. Reich a cherché une autre approche en passant par le corps. L’œuvre de Wilhelm Reich sera sûrement réhabilité un jour prochain. Il a encore une odeur de soufre pour certains, mais il a dit beaucoup de choses extrêmement justes sur la liaison du corps et de l’esprit. Sa vision de la psychothérapie et sa façon de considérer la relation corps-esprit étaient révolutionnaires pour l’époque. James Kepner, un psychopraticien américain, l’a reprise dans un ouvrage intitulé « Le corps retrouvé en psychothérapie ». Il évoque ainsi trois doctrines pour la question du corps-esprit.

La première, c’est la doctrine moniste : l’esprit n’est rien d’autre que le produit de la chimie électro-physique du cerveau, c’est à dire qu’une personne est équivalente au fonctionnement de ses organes. Dans cette vision, l’esprit et le corps sont des machines, dont les problèmes, s’il y en a, sont d’ordre mécanique.

La deuxième attitude est celle du dualisme : les domaines du corps et de l’esprit sont complètement distincts l’un de l’autre, et chacun se traite séparément. Donc, on emploie une thérapie verbale pour les problèmes mentaux – il s’agit de parler, de comprendre – et une thérapie corporelle pour les douleurs ou les problèmes corporels. Dans cette approche scindée, vous voyez qu’il y a encore bien le corps d’un côté, et l’esprit de l’autre.

Il y a une troisième doctrine, dont nous sommes déjà plus proches avec les thérapies psychocorporelles, c’est la doctrine du parallélisme. Elle considère que les domaines du corps et de l’esprit sont distincts, mais néanmoins liés, dans le sens où l’un affecte inévitablement l’autre. Une souffrance psychique affecte le fonctionnement corporel : « être mal dans sa peau ». Et de la même façon, un mal de dos, un mal au cœur peuvent signaler des conflits émotionnels et/ou existentiels. Dans cette vision, tout changement dans un des domaines, physique ou psychique, va affecter l’autre domaine, de par leur relation intrinsèque.

Cette façon d’envisager le fonctionnement psychosomatique établit le statut du corps dans une forme d’intelligence. Le somatique peut manifester sans – ça c’est important – et avant que la personne en soit déjà consciente, une souffrance, un désordre, un conflit intime, relationnel ou existentiel. On sent quelque chose, on ne sait pas mettre les mots, on ne comprend pas, mais on le sent. Et je pense que nous sommes nombreux ici présents à nous reconnaître dans cette expérience : « Je sens quelque chose, je ne sais pas ce que c’est, mais je le sens.» Le sujet accepte de considérer son corps, dans cette perspective-là, non plus comme un outil, comme une machine au service de son esprit ; il ouvre la porte à une forme d’intelligence de son propre corps. Cette capacité à percevoir quelque chose, certains diront « intuitivement » peut se formuler aussi comme ceci : « mon corps, intelligemment, a senti quelque chose. Je ne sais pas ce que c’est, je n’ai pas compris ce que c’est ; mais je l’ai perçu ». Dans cette vision, le sujet réhabilite ainsi l’animal en lui.

Alors, pour revenir un moment sur la perspective de l’animal inférieur, et bien sentir où nous fondons ces croyances, j’ai repris encore quelque chose chez Boris Cyrulnik : « Le monothéisme nous a donné le sentiment d’être des individus surnaturels, en opposition aux animaux, considérés comme des êtres inférieurs, qui ne possèdent pas d’âme et n’ont pas de droits. » Le droit des animaux, c’est intéressant ! « Au Moyen Age, on intentait des procès aux animaux, et on les jugeait devant des tribunaux pour humains. » Ça, vous ne le saviez peut-être pas. « Ignorant l’animal réel, on jugeait le démon qui demeurait en lui. Du Moyen Age jusqu’au siècle des Lumières, ces procès ont occupé les tribunaux ecclésiastiques et civils. Les huissiers battaient les campagnes pour assigner chenilles et mulots à comparaître. Si l’animal était reconnu coupable de crime, le bûcher, la potence ou l’enterrement vivant constituaient la sentence. On a pendu des chats parce qu’ils avaient tué des souris un dimanche, on a brûlé des cochons qui s’étaient attaqués à des humains un vendredi saint, jour d’abstinence. » Intéressant… C’est incroyable, quand même ! « Ignorant l’animal réel, on jugeait le malin en eux », on comprend ce qu’il y a derrière. Et Boris Cyrulnik de conclure : « Le recul du temps nous permet de juger bête cette époque, mais je suis convaincu que notre époque scientifique commet elle aussi sa part de bêtise que nos successeurs jugeront avec condescendance ». Donc faisons preuve d’un peu d’humilité sur ce sujet.

Il faut bien voir que juger les animaux, les condamner, les brûler et les torturer, c’est encore proche dans l’histoire de notre société. Si on fait le parallèle avec notre propre vision du corps et les phénomènes de possession dont il est encore question aujourd’hui, vous voyez que dans les croyances, nous ne sommes pas loin de ça ; et que ça conditionne une certaine méfiance du corps. Une méfiance de tout ce qui ne peut pas être contrôlé, de tout ce qui peut surgir en nous sans qu’on puisse, encore une fois, l’enfermer ou le tenir.

C’est bien cette vision du corps contrôlé, et mécanisé, un peu comme un outil, ou un animal domestique et obéissant, avec laquelle nous avons, pour la plupart, été élevés. C’est un corps- machine, un corps qu’il faut soumettre et qui doit absolument obéir. Et lorsque l’incontrôlé surgit, la personne qui vit cette forme de relation à son corps, soit se tourne vers les médicaments, parce que c’est la réponse la plus classique, soit s’interroge sur elle-même et se tourne vers une psychothérapie ou tout autre moyen d’introspection.

Quelque chose d’enfermé en nous

Quand je parle de l’incontrôlé qui surgit dans le corps, je parle de choses très concrètes : c’est à dire par exemple de la tétanie, la spasmophilie, pour prendre un terme médical. J’ai connu cela personnellement. Avant de devenir psychopraticien, il y a de cela 30 ans, j’étais cadre dans une entreprise. Un jour, mon corps s’est mis à trembler. Et vraiment, je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai pris des chaises – par chance j’avais un bureau pour moi seul – j’ai mis ces chaises côte à côte, je me suis allongé dessus et j’ai attendu que ça s’arrête. Mais j’avais peur, en fait. Je me demandais : « Mais qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui m’arrive ? » Je ne comprenais rien. Plus tard j’ai compris que c’était une partie que je ne connaissais pas en moi qui cherchait ainsi à se manifester. C’est comme ça que je l’ai pris, parce que j’ai suivi une psychothérapie, etc.

John Pierrakos, un des successeurs de Reich, qui est mort il y a deux ans maintenant, et qui a continué le courant reichien de la bio-énergie avec Lowen aux Etats-Unis, appelait ça le « core » énergétique. Il disait « c’est la manifestation de quelque chose d’enfermé dans le corps de la personne ». Un lieu de l’enfermé. Cela touche un au-delà de l’enfermé, quelque chose qui se manifeste au-delà de la volonté, au-delà de ce dont la personne a l’habitude en elle. Et ça c’est un passage possible, en tous cas ça l’a été pour moi, vers un questionnement plus profond sur qui je suis, et donc vers une psychothérapie possible. C’est là où les thérapies psychocorporelles ont un sens, c’est là où les mots de « cuirasse caractérielle » de Reich ont un sens aussi ; parce que c’est comme quelque chose avec lequel nous vivons longtemps et longtemps nous ne savons pas que c’est là. Et puis, un jour, ça perce en nous. Et c’est comme si cela voulait percer à travers l’enfermement. Ça pousse à l’intérieur, quelque chose pousse, quelque chose qu’on ne sait pas, qu’on ne connaît pas ; on peut dire que c’est comme un téléphone qui sonne. L’image du téléphone qui sonne renvoie à la sensation : « Attends, quelque chose est là », quelque chose d’étrange, qui me reste « étranger » et donc qui ne m’appartient pas.

Face à cela, on a deux attitudes, comme je vous l’ai dit. Soit ce sera « Ah non, non, je veux pas sentir ça. » Et je vais prendre un moyen de le contrôler. Et je vais contrôler mon corps ; et là, vous savez, notre société a développé une chimie extrêmement puissante aujourd’hui. Une chimie que les psychiatres et aussi les médecins généralistes utilisent : cette chimie des médicaments, qui permet d’apaiser, souvent, ces sensations. Malheureusement, bien qu’on fasse beaucoup de progrès, les médicaments n’apaisent pas que ces sensations : ils « apaisent » des tas d’autres choses. Une question fondamentale se pose alors : qu’est-ce que ces médicaments calment ? Bien entendu ils peuvent aussi être utiles dans un passage : on peut les prendre parce que ce qui vous arrive est vraiment trop fort. Pour certaines personnes cette émergence peut prendre des formes qui à des moments les terrorisent, et les rendent impuissants d’eux-mêmes et de leur vie. Et à ce moment-là il est évident que les médicaments sont nécessaires.

Mais la question, plus profondément, est de savoir ce qui émerge, ce qui se dit ou cherche à se dire en moi à travers mon corps dans ces manifestations. Et là on commence à aborder plus concrètement l’intelligence du corps et la parole du corps. Ces manifestations sont une façon de parler. Ce ne sont pas des mots. Ça parle par une vibration, ça parle par des sensations, ça peut parler par des douleurs, des maladies. Pour certains, ça parle par des gestes, des mouvements.

Le thérapeute sensible à la corporalité

C’est là où l’accompagnement du psychopraticien peut être fort utile, parce qu’il va fournir un miroir en face ; s’il est sensible à la corporalité, il va dire à la personne ce qu’il voit. Cette sensibilité à la corporalité, il va la faire partager à la personne : « Tiens, tu viens de faire un mouvement, est-ce que tu peux en prendre conscience ? ». Mais il ne va pas être intelligent pour l’autre ! S’il est formé en psychocorporel au sens où je l’entends. Il ne va pas interpréter le mouvement de l’autre. Mais par contre il va lui dire : « Essaie de te rendre compte, parce qu’il n’y a que toi qui connaît vraiment le sens de ce mouvement ». Il n’essayera pas d’interpréter pour l’autre : « Ah, je vois que tu … ». Non. Ça c’est une forme d’intelligence du corps à laquelle on a parfois affaire à la télévision, où un monsieur interprète des gestes. J’ai horreur de ça, ça m’horripile, parce que des interprétations plaquées sur les mouvements de l’autre, ce sont des projections qui enferment dans la grille d’un pseudo-savoir réducteur pour la personne. C’est quelque chose qui ne peut absolument pas être pris en compte dans cette vision de l’intelligence du corps dont le sens peut seulement émerger dans l’écoute et le silence des mots et du discours.

Pour moi, l’intelligence du corps, c’est vraiment : le corps est intelligent, et quelque chose sait en moi que peut-être moi je ne sais pas. Que je ne sais pas mentalement, consciemment. Quand ce mouvement émerge, le travail du thérapeute va être de dire à la personne : « Arrête-toi un instant, essaye de sentir. Tu viens de faire ce geste, essaye de sentir. Qu’est-ce que ce geste exprime de toi ? Qu’est-ce que cela manifeste que tes mots en ce moment ne disent pas ? ». Parce que souvent ces gestuelles-là contredisent le discours.

Fritz Perls est le fondateur de la Gestalt-thérapie, qui est une thérapie psychocorporelle. Quand les personnes parlaient de leurs problèmes, de leur souffrance, il les interrompait « Oui, d’accord, mais qu’est-ce que tu sens dans ton corps ? ». Ça ne veut pas dire qu’il n’écoutait pas ce que la personne racontait ; il entendait les mots, mais il demandait en plus : « Et dans ton corps, comment ces mots résonnent ? Est-ce que c’est juste, ou est-ce que ce n’est pas juste dans ton corps ? » Et tout ce processus d’écouter le corps, d’entendre l’intelligence du corps, c’est aussi d’ajuster, de réunifier en nous un esprit qui pense et un corps qui agit. Entre ce dedans sensible et ce « manifesté » du dehors, il y a une sorte d’équilibre à chercher. Il est fragile, cet équilibre. Ce n’est pas : on y arrive un jour, et puis c’est acquis ; non, c’est quelque chose qui est tout le temps à remettre sur le métier et à reconstruire. Mais c’est quelque chose avec lequel on peut grandir de plus en plus. Et ça, ça prend du temps.

Les thérapies de l’intelligence du corps

A propos de cette intelligence et de cette sensibilité du corps, il y a actuellement plusieurs courants dans la psychothérapie. Dans les thérapies corporelles dont je parle maintenant, le corps et l’esprit sont liés dans leur intelligence. Car il y a des thérapies appelées aussi thérapies corporelles, dont l’objectif est de contrôler le corps, c’est à dire qui en rajoutent une couche dans l’enfermement. Non pas par les médicaments, mais par des exercices. Pour enfermer la sensation, mettre un chapeau dessus. Ça, ce sont des thérapies qui partent d’un contrôle mental : exercer un contrôle sur le corps.

Les thérapies corporelles dont je parle, les autres, celles qui pour moi entrent dans ce cadre de la définition que je donne de l’intelligence du corps, de cette sensibilité, de ce mouvement qui émerge, de cette écoute, sont des thérapies qui amènent la plupart du temps à perdre des choses. Perdre des choses, dans le sens de perdre des éléments du contrôle. Vous voyez le lien avec la cuirasse reichienne. Reich dit « enlever des éléments de cuirasse pour que ce qui est plus profond émerge ». Dans ces formes de thérapie, c’est la même chose, je vais les citer, vous les connaissez, je pense, déjà de nom : Feldenkrais, par exemple. Mathias Alexander, Frantz Veldman, avec l’haptonomie, touchent à ça aussi, entre autres. Et il y a aussi la pratique du mouvement régénérateur que Maître Itsuo Tsuda a introduite en France il y a maintenant une trentaine d’années. Et ça, si vous voulez, ce sont toutes des formes de thérapie du corps, qui invitent à, petit à petit, exercer un travail d’écoute de la sensation et à prendre conscience de « qu’est-ce qui se passe en moi ? ». Ce n’est pas du nombrilisme. Ce n’est pas se décortiquer. C’est petit à petit ouvrir une porte pour qu’émerge, au fond, à la conscience, cette sensation de nous-mêmes, de notre propre corps intérieur.

J’ai reçu beaucoup de séances de Mathias Alexander. Je dis « recevoir », parce que c’est un professeur, qui vous fait faire des mouvements … dépouillés ! Plus dépouillés, on ne peut pas ! S’asseoir, se lever d’une chaise, faire un pas en avant, s’incliner vers l’avant, mais … il le fait en vous touchant tout le temps. Et en même temps souvent il vous parle : « Ah dis donc, qu’est-ce que tu as fait hier soir ? » Et il vous invite à raconter. Il ne veut pas que votre mental s’associe à ce que vous êtes en train de faire. Il apprend à votre corps. Il apprend une gestuelle à votre corps et pour cela il détourne votre attention consciente : il fait cela pour court-circuiter votre contrôle volontaire, votre mental ! Alors c’est long ! Ce n’est pas spectaculaire ! C’est très zen ! Au début, je ne comprenais pas. Mais j’y suis retourné, et ensuite j’en ai fait beaucoup. Et puis petit à petit, il s’est passé la chose suivante : c’est que dans la vie, cela me surprenait moi-même, d’un seul coup, je sentais ce qu’il m’avait enseigné. Il était lui-même tellement relié à son corps qu’en me touchant tout le temps, il m’avait transmis sa connaissance par le corps. Mais c’est une méthode qui est très « personnelle ». Cela demande du temps, très long ; c’est très dépouillé aussi. Il faut aimer ça. Si on n’aime pas, on ne peut pas … mais petit à petit, on sent. Ça, c’est Mathias Alexander.
On retrouve la même chose chez Frantz Veldman, avec l’haptonomie, sauf que chez Mathias Alexander c’est dans le mouvement.

Les thérapies qui enseignent à écouter et à entendre l’intelligence du corps directement sont, pour moi, des thérapies corporelles. Mais c’est très long et ça demande beaucoup de patience. Or on peut gagner du temps. Et on peut gagner du temps de la façon suivante : c’est qu’entre cette sensation que je perçois dans mon corps et mon mental, il y a un champ qui n’est pas interrogé par toutes ces thérapies corporelles, c’est l’émotion. Effectivement dans ces thérapies, on ne s’en occupe absolument pas. Chez Mathias Alexander, on ne pleure pas, on ne crie pas, on n’exprime pas son mal-être, non : on fait l’exercice. On s’exerce. Chez Feldenkrais aussi : on s’exerce à écouter le corps et à lâcher le contrôle. L’esprit de ces deux méthodes est le même. Les deux fondateurs se connaissaient d’ailleurs très bien. Mathias Alexander et Moshé Feldenkrais étaient sur la même longueur d’onde, ils se parlaient, c’était la même chose ; l’emballage était différent, mais l’esprit de leurs méthodes est le même.
Dans ces thérapies-là, on s’adresse directement à l’intelligence du corps, on apprend à l’écouter progressivement. Dans d’autres approches psychocorporelles on intègre un champ supplémentaire qui peut être plus déstabilisant mais qui permet de gagner du temps : c’est l’émotion. L’émotion comme un relais, entre ces manifestations du corps qui émergent de l’intérieur de nous-mêmes et ce mental qui en a peur. Avec les approches des thérapies psychocorporelles, on a la possibilité de dire sa peur, de laisser se montrer sa peur, ou ses larmes, si ce sont des larmes, etc. – on peut entrer dans des choses extrêmement subtiles qui, si elles sont exprimées, libèrent cette relation tête-corps. C’est là où les thérapies psychocorporelles apportent aujourd’hui beaucoup : elles permettent de s’approprier un peu plus, toujours un peu plus encore, ce que nous ressentons, ce que nous sommes.

Comment contenir ces énergies ?

Il est bien évident aussi que tout n’est pas rose dans cette rencontre. Carl Gustav Jung disait que l’inconscient contient tout : il contient aussi bien le beau que le laid, il contient aussi bien l’ombre que la lumière … tout ça c’est . Et dans ce voyage de rencontre avec soi-même, dans ce passage, on rencontre ces mondes-là aussi, cette ombre et cette lumière. Cela fait partie de l’intelligence du corps. Il est possible de prendre confiance de plus en plus dans cette sagesse du corps, cette intelligence. Même quand ça n’est pas agréable, même quand c’est très inconfortable, il y a une confiance qui reste, qui permet d’aborder ces réalités sans se noyer dedans. Parce que le problème est aussi celui-là : il faut pouvoir contenir cet inconscient. Carl Gustav Jung disait que cela, c’est le travail de la structuration du processus d’individuation. L’individuation, c’est de devenir l’individu que nous sommes, chacun.

Par conséquent le travail de structuration, consiste, justement, à contenir ces énergies-là. À les contenir, pas à les contrôler. C’est différent. Ces énergies-là sont dans le corps, bien sûr, aussi. Elles sont là, et quand elles sortent, il y a un travail d’intégration possible, pas toujours confortable, mais parfois aussi formidable. En nous, il y a énormément, énormément de choses, et c’est tout un travail d’unifier ces choses, de les amener à être ensemble, et de s’amener à vivre avec. Et le corps est un enseignement possible de ça. Par l’écoute.

Le mouvement régénérateur : ne rien faire

Pour terminer je voudrais rendre un hommage à Maître Tsuda. Maître Tsuda, un homme que j’ai connu … pas très longtemps, deux ans, trois ans, autour des années 75 à Paris. Il venait du Japon ; il avait travaillé toute sa vie dans une entreprise – où il était cadre. Il avait suivi l’enseignement de deux maîtres japonais. L’un, très connu des pratiquants d’aïkido, maître Oshiba. L’autre, Maître Nogushi, beaucoup moins connu en France, a fondé une méthode au Japon ; c’était le guérisseur de la famille impériale du Japon. Maître Tsuda avait ouvert un dojo près de Vincennes, près de la faculté de Vincennes où j’allais. Et quand je l’ai rencontré, je ne me suis pas rendu compte combien il allait être important pour moi. Je l’ai mesuré après, dix ans, quinze ans après. Il enseignait l’aïkido le matin, pour les gens courageux qui devaient être sur place le matin à six heures et demie. Il disait « C’est comme ça que je sélectionne les gens ; il faut qu’ils aient vraiment envie, qu’ils soient vraiment motivés ». Et il faisait aussi pratiquer le mouvement régénérateur. Dans le mouvement régénérateur les consignes sont très simples. J’ai repris ces mots de Maître Tsuda : « Il n’y a rien à faire ; vous n’avez absolument rien à faire. Vous êtes unique, chacun est unique. Vous avez un mouvement. Ce mouvement est le vôtre. Personne ne le connaît sauf vous ! Vous êtes maître chez vous, personne, pas même moi, ne peut vous dire : ça, c’est votre mouvement. Par contre, on peut vivre ensemble cette pratique pour vous aider à rencontrer votre propre mouvement ».

C’est très dépouillé ! La première fois, cela déroute. Surtout que l’on est habitué à penser : qu’est-ce que je dois faire ? La première question que l’on pose généralement quand on fait un exercice, quand on va dans un cours, c’est : mais qu’est-ce que je dois faire ? Lui disait : « Surtout ne faites rien ! À un certain moment la porte s’ouvre et le dialogue s’installe dans le silence ».

Cette porte qui s’ouvre demande de traverser la peur de l’inconnu, d’abandonner la croyance selon laquelle il est important de contrôler tout ce qui se passe en nous. Le lâcher-prise, c’est l’abandon à soi-même, c’est la confiance dans « l’intelligence du corps » et plus largement dans celle du « corps du monde ».