Les peurs – En quoi le monde actuel peut-il être à l’origine de nouvelles peurs ou en exacerber d’autres ?

Les peurs – En quoi le monde actuel peut-il être à l’origine de nouvelles peurs ou en exacerber d’autres ?

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C’est à Paris que s’est tenu le 31ème colloque de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P). Mandaté pour représenter l’AETPR à cet événement, j’ai choisi de vous rendre compte des éléments qui me semblaient les plus en lien avec l’exercice de notre métier de psychopraticien.

OUVERTURE DU COLLOQUE – PIERRE-CANOUI

En tant que président de la FF2P, Pierre Canouï présente ce colloque comme un temps de partage sur les grandes questions de notre existence et de notre société aujourd’hui : les peurs de l’étranger, de la mort et du temps qui passe, du vieillissement et de l’évolution de notre monde, du danger de l’individu-roi et de la menace qui pèse sur l’empathie de l’être humain.

Comme l’ont montré les attentats de la capitale moins d’une semaine auparavant, il n’est pas possible de ne pas être éprouvé par les peurs. Celles-ci ont-elles évoluées au cours du temps ? Peuvent-elles nous servir et à quoi ? Quelles réponses y apporter ? L’humanité a déjà tenté d’en apporter un certain nombre : mythologique, théologique, religieuse, idéologique, psychologique… Quelles sont celles du psychopraticien, notamment par rapport à son métier et son statut ?

Pierre Canouï avance quelques-unes de ces réponses : notre capacité d’empathie, nos méthodes de travail, une inter-subjectivité soignante, nos postures d’hommes et de femmes engagés, nos valeurs d’humanité, de liberté, de tolérance, du courage afin de les défendre, notre ténacité, notre imagination et un zeste d’amour passionné de la vie.

INTRODUCTION DU COLLOQUE – CHRISTIAN MERLE

Après avoir remercié l’équipe organisatrice (notamment Annick Vidalot, Mireille Serre et Valérie Dutin), Christian Merle souligne également combien l’actualité confirme la pertinence du choix du thème de ce colloque.

Si le psychopraticien est formé à être en empathie face à un sujet en proie aux peurs de son histoire, les peurs induites par des situations d’insécurité ou des événements extérieurs tragiques, mis en exergue par les médias ou par leur objectivation exacerbée, ne génèrent-elles pas de nouvelles souffrances et de nouveaux comportements ?

Travailler sur ses peurs en psychothérapie, c’est proposer leur discernement, les conscientiser et tenter de leur donner du sens. C’est accompagner leur intégration dans notre psychisme jusqu’aux prises de décisions et choix finaux de réponses.

LA PEUR DE L’ÉTRANGER AUJOURD’HUI – MARIE-ROSE MORO

Pédopsychiatre, psychanalyste et écrivain, Marie-Rose Moro est la chef de file de la clinique transculturelle en France. Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Sorbonne, chef de service de la maison des adolescents de Cochin, elle a crée les consultations transculturelles pour les enfants, les adolescents et leurs familles, et dirige plusieurs diplômes universitaires de psychothérapie transculturelle à Paris Descartes ainsi que la revue “L’autre, Cliniques, Cultures et Sociétés”.

Marie-Rose Moro introduit sa conférence en citant Winnicott, qui dans les émissions de la BBC après la 2ème guerre mondiale, avançait l’idée qu’en temps de guerre, il n’y avait jamais assez de psychothérapeutes pour traiter tous ceux qui avaient besoin d’être soignés. Il était donc soucieux d’élargir le plus possible le champ d’intervention de la psychothérapie, de diffuser de l’information aux parents et aux personnes travaillant auprès d’enfants, de mettre en place une psychothérapie préventive, qui permettrait aux enfants de constituer une société meilleure que celle que leur laissait leurs parents. Aujourd’hui, beaucoup d’entres-nous ont vu cette vidéo sur internet, dans laquelle un enfant cherche une réponse pragmatique aux attentats (“Que faire face aux pistolets ?”), et le parent démuni ne pouvant lui apporter qu’une réponse symbolique (“Nous, nous avons des fleurs”).

Georges Devereux parle de contre-transfert culturel lorsqu’il évoque les réactions conscientes et inconscientes face à l’altérité. Il en présente deux bornes :

– une attitude qui nie l’existence de l’autre, conduisant ainsi à la violence et au racisme.

– une autre qui s’apparente à l’angélisme, à travers laquelle l’autre, l’étranger, est vu de façon idéalisée ou utopique, tenant peu ou pas compte des réalités pratiques, matérielles ou sociologique (à l’image supposée bienheureuse de la mère africaine qui porte son bébé dans son pagne).

Entre les deux se trouve une élaboration nécessaire pour construire notre identité et créer du lien, nécessaire pour panser les blessures. Ce contre-transfert a également une dimension collective : comment l’intégrer dans une psychothérapie trans-culturelle ?

Tout d’abord il existe des représentations anthropologiques qui ne sont pas toujours faciles à partager dans une psychothérapie, tant elles semblent naturelles pour le psychopraticien : nous avons tous, par exemple, une idée de ce qu’est un adolescent dans notre société aujourd’hui. Par contre, dans certaines familles immigrées que reçoit Marie-Rose, il n’y a pas de mots pour désigner cette période, on passe ainsi de l’enfance à l’âge adulte, sous l’angle de la sexualité ou de la cuisine… Donc s’il n’y a pas de mots, s’il n’y a pas de représentations, il faut construire. Nous pouvons également avoir des difficultés à nous représenter la structure de la famille (plusieurs pères, plusieurs mères…), et à ne pas la considérer comme en désordre ou en dysfonctionnement.

L’anthropologue Maurice Godelier pose la question suivante : comment se dénommer soi-même, en tant que groupe culturel, et comment dénommer les autres, sans se considérer soi-même comme humain et l’autre comme non-humain ? La réponse se trouve dans la création du lien.

Les effets de la colonisation sont également à prendre en compte. De récentes études ont eu pour sujet des adolescents issus de familles algériennes, qui ont connu de forts conflits. Certains d’entres-eux avaient commis de graves actes de violence, comme mettre le feu à une école maternelle par exemple. Les études ont montré que leurs motivations se rapportaient à un amour déçu, dont il fallait brûler le souvenir : “Je croyais que j’allais être comme tous les autres, puis je me suis rendu-compte que pour moi ça allait être plus difficile”. Un sentiment de profonde discrimination est apparu ainsi que celui d’une continuation d’une guerre qu’ils n’ont pas connus et dont on ne leur a pas parlé. À l’issue de cette étude, ces adolescents ont demandé qu’on leur raconte la guerre d’Algérie, exprimant ainsi leur besoin de lien, de mots.

L’anthropologie religieuse et politique est nécessaire pour comprendre à quoi répondent les idéologies sur le croire, sur de nouvelles valeurs, dans des positions qui sont contre l’islam de leur parents, contre le monde occidental qui leur est proposé.

Le métissage pose également une question d’appartenance, comme le montre le cas de Rafaël. Né d’un père noir et d’une mère blanche, Rafaël est métis, il est au milieu. À la puberté, il fait preuve de violence face à l’altérité. Ses parents, catholiques pratiquants, renforcent alors leur contrôle en le plaçant dans une école privée, ce qui a pour effet d’aggraver la violence de Rafaël. Il se convertit alors à l’Islam : “L’Islam c’est plus fort que tout, plus fort que les Américains, plus fort que les Russes, je choisis mes affiliations !”. Rafaël se transforme, se laisse pousser une petite barbe et se met à porter la Djellaba.

Dans un premier temps, les parents s’apaisent car leur enfant ne commet plus d’actes de violence. Puis ils s’inquiètent tout de même de sa transformation, et l’emmène en consultation de psychothérapie dans un dispositif trans-culturel; dans celui-ci, la conversion à l’Islam est considérée comme une réponse à un besoin. Au début de la consultation, il teste si le cadre proposé peut accepter son propre mouvement en demandant par exemple “Est-ce que tu es capable de comprendre ce que je cherche quand je dis une Sourate”. Puis peu à peu, il apparait que sa démarche traduit une quête de sens, et présente des liens avec l’histoire de son père. Celui-ci est un érudit de philosophie mais son histoire révèle qu’il a toujours étudié en secret, sans jamais pouvoir enseigner, exerçant par dépit le métier de gardien.

Ainsi est apparu au cours de sa psychothérapie, que par identification à son père déchu, Rafaël cherchait dans le Coran ce que son père cherchait dans la philosophie des lumières. Et c’est à travers le lien qui a pu naître entre eux au cours de cette psychothérapie que la violence de Rafaël a pu se transformer.

Au cours des questions-réponses qui suivent, Marie-Rose Moro présente le métissage comme la seule réponse possible aux problèmes trans-culturels dans le psychisme des êtres. Ainsi, dans la méthode qu’elle conduit, ce sont les voies de métissages qui sont recherchées.

Enfin, l’importance de la perte de la langue maternelle est soulignée, comme une perte de reliance fondamentale, laquelle peut être recherchée à travers la religion. D’où l’importance de développer l’accès à la culture et à la connaissance, pour rétablir les liens brisés. Des études canadiennes sur ce sujet montrent des résultats remarquables.

TABLE RONDE – À QUOI SERVENT NOS PEURS ?

Animée par Christian Merle, avec Michèle Benoit, Michel Boyancé, Pierre Canouï, Laurence Vanin et Jacques Schecroun

Jacques Schecroun commence son intervention en rappelant qu’on a trois fois moins de risques d’être victime d’un “crime de sang” aujourd’hui qu’en 1588. André Videau disait : “Il est bien peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons”. Malgré cela, la peur est présente, infiniment plus qu’en 1588 probablement, car à l’époque il n’y avait pas d’informations en direct et en continu.

L’auteur s’est demandé en quoi l’être humain était-il fait de façon à ce qu’un manque en chasse toujours un autre ? Il y apporte la réponse suivante : parce que le manque préexiste à son objet. Chacun connaît la légende de l’ange, issue du Talmud, selon laquelle le futur bébé serait omniscient, mais qu’en voyant le jour, un ange s’approche, pose son doigt sur sa bouche et lui dit “Chut, oublie tout ce que tu sais”, inscrivant une fossette entre la racine du nez et les lèvres.

“Oublie ce que tu sais, renonce à une partie que tu es”, combien d’entres-nous ont du se rétrécir, se rapetisser, abandonner une partie d’eux-même pour rentrer dans le moule de l’éducation ? Qui ne s’est jamais entendu dire enfant “Mais pour qui tu te prends ?”, ce qui équivaut à “Ne montre pas qui tu es”. Comme si le fait de montrer notre lumière pouvait faire de l’ombre à l’autre. Et si finalement, ce dont nous manquons c’est de nous-même, de notre grandeur, de notre splendeur, de ce que nous avons dû abandonner pour entrer dans le moule ? Nous aurions ainsi de très bonnes raisons de manquer.

L’auteur s’est ensuite demandé si le processus pouvait être similaire avec la peur. En partant de l’hypothèse que le bébé est amour, celui-ci apprend en grandissant le conditionnement de l’amour : “si tu n’es pas sage…, si tu n’agis pas comme je le souhaite…”. C’est terrible pour un enfant de vivre avec cette peur de perdre l’amour. La peur d’être abandonné, d’être rejeté, d’être anéanti. Encore, mourir c’est dans nos gènes, on le sait d’avance, c’est une peur naturelle. Mais la peur de perdre l’amour, c’est culturel, et c’est un refoulement très profond. Au final, l’auteur formule l’hypothèse que toutes nos peurs dérivent d’une seule, profondément logée dans les replis de notre corps : celle de perdre l’amour, et que toutes les autres ne sont crées que pour cacher celle-ci.

Si tout le monde (ou presque) connait la comptine “Fais dodo Colas mon p’tit frère”, connaissez-vous le deuxième couplet : “Si tu fais dodo, Maman vient bientôt, si tu ne dors pas, Papa s’en ira”…

CE N’EST PAS VOUS QUI ÊTES MALADE, C’EST LE MONDE QUI L’EST – LA PSYCHANALYSE À L’ÉPREUVE DE LA VIE SOCIALE – CLAUDE HALMOS

Claude Halmos est psychanalyste et écrivain. Formée par Jacques Lacan et Françoise Dolto, elle est une spécialiste reconnue de l’enfance et de la maltraitance. Elle anime actuellement une émission hebdomadaire sur France info ainsi qu’une rubrique dans Psychologie Magazine.

Claude Halmos souligne le poids des mots dans un processus de réparation : la nécessité pour le sujet de repasser par sa blessure, pour y poser les mots justes et prendre une autre route. L’auteur y oppose le poids du silence : les secrets de l’histoire familiale, de la maltraitance. Si on parle parfois en psychanalyse d’élaboration silencieuse, nécessaire, il existe en revanche un silence qui est destructeur : celui des peurs qui concernent la vie sociale.

Cette vie sociale, écrasée aujourd’hui par la vie économique, et dont le poids est souvent insupportable. Souffrir d’avoir perdu son emploi, d’avoir peur de ne jamais en retrouver, ou de le perdre. Car perdre son emploi oblige à faire face à la peur de perdre son niveau de vie, à la peur de vivre des souffrances de faim, de précarité, de froid. Dans ce sens, la situation du chômeur peut parfois s’apparenter à celle du nourrisson. Quand aux employés, tous savent qu’ils peuvent perdre leur emploi, ce qui implique la peur de la chute, de l’exclusion, du déclassement, de ne pouvoir payer des vacances aux enfants, de ne pouvoir maintenir sa vie sociale avec ses amis…

L’emploi est le pilier, la clef de voûte dont dépend l’identité sociale, la valeur sociale et l’image de soi sociale.

L’être humain a une colonne verticale psychique double, constituée de sa vie privée et de sa vie sociale. Si l’école maternelle est un sas entre ces deux univers, à partir du CP, l’enfant change de planète. Ce n’est plus l’amour qui régit les liens. On n’est plus deux mais toujours trois (avec l’institution). Il s’agit pour lui d’occuper une nouvelle place. Il va être un élève, avoir une valeur, se construire une image. Et ce qui se met en place ici se prolongera toute sa vie.

En considérant ainsi l’être humain, être privé de son travail, c’est être amputé d’une moitié de son identité. Pourtant les politiques et les médias se taisent : la précarité, c’est pas sexy, ça se vend mal. Les psys se taisent également sur ce sujet, quelle que soit leur obédience : ceux qui sont autorisés à s’exprimer publiquement sur ce sujet ne renvoient qu’à la responsabilité personnelle, sans tenir compte du social. Cela est probablement lié au malaise qu’ils entretiennent avec la réalité. Ce silence relatif aux souffrances de la vie sociale est assourdissant. Pourtant nous avons tous déjà vécu ou nous avons tous déjà été témoin de cette honte, de cette peur du dénuement du nourrisson, de cette déchéance du SDF, arcane de la déshumanisation extrême, qui fouille dans les poubelles (alors que c’est interdit aux chiens) et qui ne peut même pas s’isoler pour faire ses besoins.

Aujourd’hui l’intime n’est plus tabou, c’est le social qui l’est devenu.

À cela s’ajoute la peur des attentats, ce qui est normal, légitime. Si l’objet de l’angoisse est imaginaire, celui de la peur est réel. Donc reconnaître la peur, l’accepter comme légitime, c’est éviter qu’elle se transforme en angoisse. L’objet de la peur a toujours des limites : il est réellement cela, mais il n’est également que cela. Il y a une différence entre la peur que peut engendrer la présence d’une bombe dans une rame de métro si l’on est à proximité et l’angoisse permanente qu’il puisse y en avoir une dans n’importe quelle rame.

Il est également important de comprendre que l’on ne peut pas y faire face seul. Tous les rescapés en ont témoigné : on a besoin des autres pour mettre en commun les forces et faiblesses psychologiques. Retrouver le chemin du collectif est une nécessité.

Question : Quel regard posez-vous sur ce “même pas peur” affiché dans les médias ?

Réponse : C’est une formule de rassemblement des jeunes, mais il ne faut pas se prendre les pieds dedans. Il faut dire à quel point la peur est légitime et normale. C’est en la reconnaissant qu’on va pouvoir lui donner des limites.

Question : Les psys ont-ils un rôle politique à jouer ?

Réponse : Un psy doit être du côté de la souffrance, il joue un rôle par ses prises de position. Les théories du bonheur ont leurs limites : voir la bouteille à moitié pleine lorsqu’elle est à moitié vide passe encore, mais pour beaucoup de gens la bouteille est belle et bien vide, alors que fait-on ?Claude Weill parlait de “personnes normales qui se trouvent dans des situations anormales”. Il est important de pouvoir dire “ce n’est pas vous qui êtes malade, c’est le monde du travail qui l’est”. C’est un renversement épistémologique.

Question : De nombreuses personnes témoignent avoir traversé des situations très difficiles grâce à leurs propres ressources, ne craignez-vous pas de les déresponsabiliser avec votre discours ?

Réponse : Il s’agit de discerner ce qui appartient au sujet, ce qui appartient à son histoire personnelle et ce qui serait insupportable pour n’importe qui. On commence donc par retirer tout ce dont le sujet se charge dans ses fantasmes, puis on s’occupe de son histoire personnelle et de ses ressources.

L’EMPATHIE MENACÉE PAR INTERNET ET LES MÉDIAS NUMÉRIQUES  – SERGE TISSERON

Serge Tisseron est psychiatre, psychanalyste, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches et chercheur associé au Centre de Recherche Psychanalyse Médecine Société (CRPMS) de l’université Paris VII. Ses travaux portent sur les secrets de familles liés aux traumatismes, les relations aux images et le bouleversement des nouvelles technologies dans nos rapports aux autres, à nous-même, au temps, à l’espace et à la connaissance.

Serge Tisseron présente Internet comme un formidable espace de découverte, de socialisation et d’apprentissage des règles de la vie démocratique. Mais il ne peut être cela que si l’on connait les règles qui le régissent, les fausses peurs que l’ignorance de ses règles suscite ainsi que les vraies inquiétudes qu’il justifie. Internet est effectivement une machine totalement dépendante de l’usage que l’on peut en faire, auquel peu d’entre-nous (en particulier les enfants) ont été éduqués. Ainsi, Internet peut générer des peurs irraisonnées (peur de l’inconnu), mais il est également vecteur de dangers réels. Quels sont-ils ? Quelles réponses y apporter ?

  • Cybercriminalité : l’agresseur peut être connu ou inconnu, pour obtenir des bénéfices financiers ou sexuels, par le mensonge ou la menace. Il est donc nécessaire de dispenser une éducation à internet, d’informer de l’existence du cyber-harcèlement et de faire connaître les trois règles de base qui régissent cet espace :
    • tout ce que l’on y met peut tomber dans le domaine public
    • tout ce que l’on y met peut y rester éternellement
    • tout ce que l’on y trouve est sujet à caution, c’est à dire qu’il ne faut jamais le croire avant d’en avoir la confirmation par d’autres sources.
  • Surexposition de soi : on parle d’extimité pour désigner le désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque là considérés comme relevant de l’intimité, touchant le plus souvent des personnes qui souffrent d’un manque de reconnaissance dans la vie réelle. La réponse se trouve une fois de plus dans la prévention (apprentissage du droit à l’intimité et du droit à l’image,  information sur l’e-réputation : l’ensemble des informations disponibles sur internet concernant une personne).
  • Pratiques compulsives et pathologiques : aujourd’hui le terme d’addiction a été contesté dans ce domaine par les autorités. Il n’est pas employé pour caractériser les pratiques des adolescents (qui n’ont pas acquis la maîtrise de leurs impulsions) et de façon générale, il n’est pas observé de syndrome de sevrage ni de rechute. Pour mieux les identifier, il est nécessaire de caractériser le passage de la pratique “normale” à la pratique “pathologique”. En ce qui concerne les jeux vidéos, il est utile de savoir différencier le jeu qui procure du plaisir du jeu qui permet de fuir un déplaisir par exemple.
  • Surveillance généralisée : Serge Tisseron évoque la traçabilité des utilisateurs, la collecte des données personnelles et les objets connectés. Ainsi, les premiers Nounours et premières poupées connectées ont été mis sur le marché à Noël aux US. Ces jouets “parlent” avec les enfants, mais il est légitime de se demander de quoi vont-ils parler ? Qu’ont donc prévu les ingénieurs de la Silicon Valley ? Quels sont les contenus des programmes et leurs finalités ? Et inversement : quelles informations seront remontées au fabriquant ? Car si aujourd’hui les machines savent “parler”, elles savent également retranscrire et transmettre les mots “entendus”. La même question se pose pour les futurs “robots de compagnie”.
  • Quiproquos : il en existe de nombreux sur Internet. Voici quelques pistes d’explications :
    • l’absence de face-à-face inhibe la fonction régulatrice du visage dans la communication.
    • l’absence d’indices sociaux régulateurs.
    • une dynamique ouverte de groupes en lignes (chacun peut entrer ou sortir lorsqu’il le souhaite).
    • la facilité d’abandonner les inhibitions qui caractérisent la vie sociale (réduction ou absence de formules d’ouverture et de clôture lors des échanges, possibilité d’écrire et de publier en simultané par exemple).
  • Diverses formes d’angoisses majorées par Internet :
    • angoisse d’abandon : sentiment de ne pas pouvoir se faire entendre ou comprendre, de ne pas exister.
    • angoisse d’envahissement : sentiment d’être sans limite externe et livré à des excitations innombrables provoquées par la multitude de personnes et de sujets de conversation.
    • angoisse de morcellement : qui peut survenir lorsque les informations ont des origines trop différentes, les activités sont morcelées et le temps n’est plus vécu comme une continuité, mais comme une succession d’événements épars.
    • angoisse de persécution : alimentée par le risque fantasmatique que ce qui a été écrit reste à jamais inscrit et par la difficulté d’identifier avec précision les personnes avec lesquelles on communique (d’où l’attention grandissante portée à la réputation en ligne).
  • Flame wars : il s’agit de conflits virtuels, concernant des identités individuelles ou des appartenances politiques, religieuses ou culturelles. On remarque que les tensions sociales entre groupes ont tendance à se retrouver en ligne. Il a également été recensé une recrudescence des violences scolaires le lundi matin… suite aux échanges sur les réseaux sociaux du dimanche ?
    Les groupes en ligne peuvent se protéger des Flame wars en s’organisant afin de modérer les réprimandes, en laissant la porte ouverte au pardon et en proposant d’élargir les discussions. L’éducation est également une protection contre ces attaques, en transmettant la notion d’empathie, en suscitant débats et controverses, et par la pratique de discours doubles, que les Grecs ont bien connus sous le nom de “dissoï logoï“, permettant à l’étudiant (après l’adolescence) de défendre avec le plus de sérieux et d’engagement possible deux positions opposées sur une même question.

Chez l’enfant, les trois grandes étapes de construction de l’empathie sont :

  • l’empathie affective et émotionnelle (1 an).
  • l’empathie cognitive (4 ans – “je peux comprendre ce qui te rend triste ou joyeux”).
  • l’identification émotionnelle (8-9 ans – “à ta place je ressentirais la même chose”).

Les écrans doivent donc être encadrés dès l’enfance et l’enfant éduqué aux médias. Pour répondre aux questions les plus pressantes des parents et des pédagogues, Serge Tisseron a mis au point en 2007 la règle “3,6,9,12”, relayée par diverses organisations de prévention et d’éducation :

  • Avant 3 ans, l’enfant a besoin de construire ses repères spatiaux et temporels.
  • De 3 à 6 ans, l’enfant a besoin de découvrir toutes ses possibilités sensorielles et manuelles.
  • De 6 à 9 ans, l’enfant a besoin de découvrir les règles du jeu social.
  • De 9 à 12 ans, l’enfant a besoin d’explorer la complexité du monde.
  • Après 12 ans, l’enfant commence à s’affranchir des repères familiaux.

Il est donc préférable de ne pas autoriser l’accès à la TV avant 3 ans, à la console personnelle  avant 6 ans, à Internet avant 9 ans et aux réseaux sociaux avant 12 ans.

Serge Tisseron invite les parents à choisir les programmes avec leurs enfants, à limiter le temps d’écran, à inviter les enfants à parler de ce qu’ils ont vu ou fait, et d’encourager leurs créations.

L’auteur donne ensuite les conseils suivants :

Avant 3 ans, le meilleur des jouets, c’est celui que l’enfant fabrique; le meilleur des écrans c’est le visage de l’adulte. Les jeux traditionnels et les histoires lues ensemble sont préférables à la télévision et aux DVD. Il est important de laisser à l’enfant le temps de s’ennuyer pour qu’il puisse imaginer ses prochains jeux. Enfin, la tablette, c’est fait pour jouer à deux.

De 3 à 6 ans, des règles claires sont fixées quant aux temps d’écrans, les âges indiqués pour les programmes sont respectés, la tablette, la télévision et l’ordinateur, c’est dans le salon, pas dans la chambre. Enfin, jouer à plusieurs, c’est mieux que seul.

De 6 à 9 ans, des règles claires sont encore fixées quant aux temps d’écrans et il est important de parler avec son enfant de ce qu’il y voit et fait. La tablette, la télévision et l’ordinateur, c’est encore dans le salon, pas dans la chambre. Enfin, il est important de commencer à parler du droit à l’intimité, du droit à l’image, et des 3 principes d’Internet (cités préalablement dans le paragraphe sur la cybercriminalité).

De 9 à 12 ans, l’âge à partir duquel l’enfant aura son téléphone mobile est déterminé, il a le droit d’aller sur Internet, mais c’est au parent de décider s’il y va seul ou accompagné. Le temps consacré aux différents écrans est défini avec lui, on parle de ce qu’il y voit et fait ainsi que des 3 principes d’Internet.

Après 12 ans, l’enfant peut « surfer » seul sur la toile, mais des horaires sont fixés et respectés. Enfant et parents parlent ensemble du téléchargement, des plagiats, de la pornographie et du harcèlement. Le wifi est coupé la nuit, ainsi que les mobiles. Enfin, le parent doit refuser d’être son « ami » sur Facebook.

QUESTIONS AUTOUR DE LA PEUR DE VIEILLIR – MARIE DE HENNEZEL

Marie De Hennezel est psychologue et écrivain. Titulaire d’un DESS de psychologie clinique et d’un DEA de psychanalyse, elle s’est également formée auprès d’Élie Humbert, de Richard Moss et de Frans Veldman. Membre de la première équipe de soin palliatif en Europe continentale sur proposition de François Mitterrand en 1986, elle est également l’auteur du rapport de mission “Fin de vie et Accompagnement” remis à Jean-François Mattéi en 2003 (proposant une loi sur les droits des malades et la fin de vie, adoptée en 2004) et du rapport de mission “La France palliative” remis à Roselyne Bachelot en 2007. Elle anime actuellement et depuis 2012 des séminaires sur l’art de bien vieillir au sein de résidences pour personnes âgées.

La peur de vieillir appartient à la génération des Boomers. Celle-ci s’est construite sur des valeurs d’autonomie (Je n’ai besoin de personne en Harley-Davidson…). Cette génération est probablement celle qui possédera la plus grande longévité (aux US, nous observons que la longévité décroît, en lien avec la mal-bouffe, le stress…). Cette génération manque de repères positifs face à la vieillesse. Un rapport a récemment parlé de “naufrage social” concernant les maisons de retraite. Les peurs de vieillir sont des peurs occidentales : vieillir y est vu comme une dégradation, une diminution des performances et de l’utilité. Il est interdit de vieillir (comme le suggère les crèmes anti-rides, anti-âge, et maintenant anti-temps !).

On observe trois attitudes principales face à la vieillesse :

– La dépression : après le passage de la retraite, avec la prise de conscience d’entrer dans les derniers âges de la vie (3ème, 4ème et 5ème âge).

– Le déni du vieillir : cette génération bénéficie en effet d’une grande espérance de vie avec l’accès à la médecine, à la chimie, aux sciences humaines (le stress n’est pas bon, comme le fait de mettre les émotions au placard…).

– L’acceptation de vieillir, mais en prenant son vieillir à bras le corps, pour en faire quelque-chose d’heureux, d’intéressant. On peut rester jeune de cœur et d’esprit. Mûrir c’est s’adapter au changement. Le psychisme évolue autant que le corps.

Avoir une expérience heureuse du vieillir n’est pas une utopie. Dans une émission TV, qui avait pour thème “Faut-il avoir peur de vieillir ?”, 78% du public avait une vision négative avant l’émission, puis cette proportion est descendue à 42% après les témoignages positifs des personnes âgées qui y participaient.

Benoîte Groult disait : “Ce que donne la vieillesse, c’est la jeunesse du cœur, je suis plus consciente, en ouvrant mes volets le matin par exemple, plus curieuse. J’aime la richesse des voyages immobiles, qui ramène à l’essentiel, je me sens plus contemplative, dans une plus grande sensualité, je savoure des choses que je ne faisais pas lorsque j’étais dans l’action”.

Sœur Emmanuelle témoignait : “Cette contemplation dense me donne une joie immense”, quant à Albert Jacquard : “Je saute moins haut, je cours moins vite, mais tant que je peux fabriquer en moi des émotions nouvelles, on vient vers moi comme vers une source”.

Toutes ces personnes ont accepté les limitations de leur corps et développé leur vie intérieure.

Saint Paul disait “Tandis que notre homme extérieur s’en va en ruine, l’homme intérieur se renouvelle”, Victor Hugo : “Mon corps décline, ma pensée éclôt”. Ces personnes vivent le paradoxe du vieillir, elles réussissent leur individuation.

Jung a comparé la vie à la course du soleil : dans sa première partie, l’énergie est investie dans la construction du Moi, tandis que dans la deuxième, l’objectif est différent, il s’agit de mettre l’accent sur le Soi. C’est un chemin qui mène vers l’intériorité.

Michel Serre : “Tu n’as plus désormais à produire, mais à trouver le vrai grain de ta vie”.

Mûrir, Vieillir, S’accomplir structurent le livre Une vie pour se mettre au monde, co-écrit avec Bertrand Vergely. Marie de Hennezel y parle de la vie comme d’une œuvre, au cours de laquelle chaque âge a sa place et son rôle particulier dans la constitution de cette œuvre. C’est une vision à opposer avec le sentiment d’inutilité et d’inexistence qui se partage dans les maisons de retraite, construit sur des valeurs de jeunesse.

Un intervenant d’un colloque précédent a défendu l’utilité sociale des personnes âgées : “Vous avez quelque-chose à apporter à la société car vous en explorez les contre-valeurs : lenteur, contemplation, disponibilité de l’être, face à un monde sur-investit dans le faire”.

Arriver à cela n’est pas facile, c’est un travail difficile car c’est un chemin parsemé de deuils, de renoncements, de pertes et de peurs. Ce n’est pas donné, cela relève d’une décision, d’une posture.

Concernant les peurs, il est nécessaire de les identifier, de réfléchir à ce que l’on peut faire en terme de prévention, d’identifier et de développer les ressources. Voici les principales peurs  rencontrées par les personnes âgées :

  • Peur du vieillissement physique (qui est une problématique narcissique : on peut être ridé et radieux, le regard et le sourire ne vieillissent pas).
  • Peur du vieillissement sexuel.
  • Peur d’être un poids, pour les enfants notamment.
  • Peur de la dépendance.
  • Peur de perdre la tête (d’où l’utilité de méditer sur sa finitude et de libérer sa vie émotionnelle, ce qui dans le cas contraire est considéré comme une étiologie possible de la maladie d’Alzheimer).
  • Peur d’être placé dans une maison de retraite, et de la maltraitance fantasmée qui peut y être associée.
  • Peur de l’isolement.
  • Peur de la mort, et de façon encore plus marquée : de mal vieillir.

Ainsi, selon la façon dont nous la considérons et l’abordons, l’expérience du vieillir peut être spirituelle : une expérience qui permet l’accomplissement, qui permet d’aller au bout de l’expérience de sa vie, au bout de soi.

CONCLUSION

Voici donc les éléments de ce colloque que j’ai trouvé pertinent de vous partager, dans la mesure où ceux-ci sont facilement relayable en clientèle, et pourront (je l’espère) nourrir et inspirer notre accompagnement psychothérapeutique dans un contexte fort demandeur.

J’ai allégé cet article des conférences de trois philosophes : Laurence Vanin, Michel Boyancé et Michel Bitbol. Leurs interventions n’étaient pas moins dignes d’intérêt que les autres, mais la nature conceptuelle de leur discipline maintient, à moins de parfaitement la maîtriser, une distance avec la réalité de terrain à laquelle nous sommes confrontés au quotidien dans notre pratique de la psychothérapie, de surcroît psychocorporelle.

Malgré une table ronde dédiée au thème des peurs du psychopraticien, quant à son statut et l’exercice de son métier, aucun élément de réponse concret n’a été assumé par les participants. C’est frustrant et questionnant.

La nécessité de reconnaître, d’identifier et de légitimer les peurs a fait très largement consensus au sein de ce colloque, rappelons-le multi-référentiel. Si cette étape est incontournable pour tout sujet sensible, l’étape suivante, celle de la relation que le sujet construit avec ses peurs ainsi que des conditions et pratiques qui lui permettent de mieux interagir avec elles n’ont pas été abordé. Autrement dit : “Avant je n’étais pas conscient de mes peurs, et maintenant je fais quoi ?”.

Enfin, je suis rentré en Alsace avec le thème de l’intégration des peurs, et donc du deuil nécessaire de l’idée d’en être un jour “libéré”. Les peurs faisant partie de notre condition, il est sage d’envisager leur compagnie sur le long terme : apprendre à vivre avec, leurs donner une place, établir une nécessaire relation avec elles et savoir prendre les décisions associées. Car si nous ne le faisons pas en tant que sujet, ce sont elles qui le feront, inversant la prévalence de la conscience et du coeur sur les instincts, prévalence fondatrice de notre humanité, et qui nous protège du chaos, individuel et collectif.

Aurélien Chevalier