Rencontres au présent

Rencontres au présent

Rencontres-au-present

A propos du thème “voyages et thérapies”, il m’est revenu à l’esprit deux souvenirs où le temps, comme le dit Alphonse de Lamartine “a suspendu son vol”, deux souvenirs de moments étranges où l’inattendu qui surgit m’a transporté comme en voyage.

Le premier se passe dans les années 80, à la fin juillet. Nous sommes en séminaire de psychothérapie à Trimurti, séminaire qu’Éliane et moi animons. Il a lieu dans la bergerie, une salle un peu à l’écart du grand centre, au milieu des chênes lièges. C’est la canicule, à la reprise l’après-midi il fait plus de 40° à l’ombre. Nous sommes au troisième jour du séminaire, le groupe est assis en cercle, alourdi par la chaleur. Le peu d’air qui circule est chargé du climat de tension qui règne à ce moment là. Le silence s’est installé depuis la reprise, la chaleur ne faisant qu’ajouter au sentiment d’étouffement. Dans un coin, Bernadette en psychothérapie depuis longtemps avec moi, donne depuis le début du séminaire des signes de pertes de repères, de décompensation, visiblement au bord de sa limite psychotique. Elle est en train de broder sur un petit coussin. Les deux fenêtres de la salle sont ouvertes. Et d’un seul coup, sans que rien ne le laisse présager, un rouge-gorge rentre par une fenêtre et sans s’affoler plus que cela, vole avec légèreté au dessus du groupe avant de ressortir par l’autre fenêtre. Le temps est suspendu, nous nous regardons tous, surpris par l’étrangeté de la chose, d’autant plus que la pièce a un plafond très bas, à peine plus de deux mètres. Traversé par une intuition et aussi il faut bien le dire, pour nous rassurer sur le lien de Bernadette avec la réalité ordinaire, je lui demande “qu’est ce que tu es en train de broder ?” “Un rouge-gorge” répond-elle, en nous montrant le coussin. Sa réponse a l’effet d’un rafraîchissement, d’un allégement, presque d’un soulagement comme si le lien avec l’oiseau, la synchronie entre sa venue et la broderie avaient évacué la peur pour laisser place à un clin d’œil du monde. Quelque chose s’est dédramatisé après le passage de l’oiseau et la suite du séminaire a marqué le retour progressif de Bernadette parmi nous, avec pour elle l’effet bénéfique d’un contact avec “un ailleurs”, un autre état de conscience et d’en être revenue avec un sentiment de confiance.

L’autre souvenir se passe quelques années plus tard, en 1997 exactement. C’est aussi pendant l’été, au mois de juillet. Nous sommes réunis en groupe de travail avec l’équipe d’origine de l’AETPR. Il y a là notamment Denise, Marie-Françoise, Tony et Valerio parmi les plus anciens et quelques autres. Nous travaillons ensemble à la création de l’association qui a pour origine “L’École Internationale de Communication Créative” (EICC), l’ancienne association dont nous faisions tous partie.

Pour Éliane et moi, la période est difficile. Nous sommes de retour à Strasbourg après cinq années dans le sud avec l’intention d’y relancer nos activités de psychopraticiens et de formateurs. L’incertitude et la peur de ne pas aboutir nous visitent régulièrement.
La réunion a lieu à la Roche sur Linotte, dans un beau centre en pleine campagne. Un après-midi après le déjeuner avant la reprise, Éliane et moi allons nous promener sur une vieille route goudronnée qui se transforme progressivement en chemin de terre. Charly, notre chien, un ratier vif et malin, fait la balade avec nous. Après le passage au dessus d’une petite rivière, le chemin se perd au milieu des prés avant d’aboutir à la forêt dans le lointain. Charly nous précède, reniflant, cherchant des pistes, il a toujours eu le goût du jeu et un gros appétit d’odeurs. Nous marchons tranquillement, quand surgissant d’un pré sur la droite, un mulot, une souris des champs, traverse la route aussi tranquillement que nous. Elle s’arrête au milieu, s’assoit et reste là immobile en nous regardant nous approcher d’elle. Elle a la tête relevée et nos regards se croisent un long moment. Puis toujours aussi tranquillement, quand semble-t-il elle le décide, elle retourne dans le champ et disparaît à nos regards.

Surpris par l’étrangeté, l’inhabituel de la situation nous sommes sortis de toutes nos préoccupations. Le temps s’est arrêté par la magie de cette rencontre. Éliane et moi commençons à élaborer sur le sens possible à donner à l’événement tout en poursuivant la ballade. Sur le chemin du retour, Charly est toujours devant. Malgré sa présence proche, quand nous passons au même endroit, la scène se répète, comme si nous n’avions pas encore tout à fait compris la première fois. Toujours aussi tranquillement, la souris des champs sort du pré, s’installe assise, au milieu de la route et nous attend en nous regardant un long moment. Et puis à nouveau, quand elle le décide, la voilà repartie dans son champ.

Inutile de vous dire qu’avec la répétition, l’effet est garanti. Par la suite, j’ai souvent repensé à cette rencontre comme un moment “hors du temps”, un moment de présence et de présent.

La souris n’avait pas peur, c’est en tout cas ce que je me dis à propos d’elle et cette confiance dont elle faisait preuve, était un message d’encouragement à regarder en face, tranquillement des choses, des personnes, des situations qui nous dépassent et “normalement” nous font peur.

La rencontre avec ces deux êtres vivants, l’oiseau et la souris, sont pour moi des moments précieux, lumineux qui l’un comme l’autre parlent d’une présence de confiance et d’amour sur le chemin.